Peuples de Russie : les Oudmourtes, traditions et culture


Culture, Histoire, Interview, Reportage / lundi, octobre 3rd, 2022

La République d’Oudmourtie fait partie de la Fédération de Russie. Elle est située à 1200 km au sud-est de Moscou dans la partie occidentale de l’Oural Moyen, entre les rivières Kama et Vyatka. La République a reçu son nom du peuple qui vivait depuis l’Antiquité dans ces lieux — les Oudmourtes. Ceux-ci constituent l’un des plus grands peuples finno-ougriens. Par leur nombre (environ 550 000), ils occupent la cinquième place, derrière les Hongrois, les Finlandais, les Estoniens et les Mordviniens.

Daria Smirnova, journaliste pour L’Ours Magazine, a rencontré Marina Borodina, cheffe de la communauté oudmourte de Moscou. Elle nous parle de l’histoire des Oudmourtes, de leur culture et de leurs traditions.

La culture oudmourte est très ancienne et unique, pouvez-vous nous parler de l’histoire de ce peuple ?

Marina Borodina: Le peuple oudmourte est un peuple du groupe finno-ougrien qui s’est installé près de la rivière Viatka, sous-affluent de la Volga. C’est la raison pour laquelle ils se sont tout d’abord appelés les Votiaks. La dénomination «Votiaks» en Oudmourtie est devenue démodée au début du XXème siècle et a même une connotation négative actuellement.

Et d’où vient le nom «Oudmourtes»?

Marina Borodina: En oudmourte, «Mourte» signifie «l’homme», «vou» signifie «l’eau». Probablement, Oudmourte signifie «près de l’eau, lié à l’eau». C’est la version à laquelle je veux croire. Il existe une autre version qui explique que «oud» est le nom de l’un des ancêtres, «Mourt» signifie «l’homme» en oudmourte. Dans la mythologie oudmourte il y a une divinité «Voumurt», il ressemble à Vodianoï — un personnage de la mythologie slave qui vit dans l’eau. En Oudmourtie, il y a de nombreux mythes liés à l’eau et notamment aux cygnes. Les légendes anciennes racontent l’histoire d’une femme-cygne qui a traîné de la terre dans son bec du fond du grand océan et a créé de cette manière la terre oudmourte. Dans la mythologie oudmourte, le cygne est un symbole d’une divinité supérieure, du ciel, du soleil et de la vie.

Comment peut-on décrire en quelques mots les Oudmourtes ?

Marina Borodina: Si on parle de l’apparence physique, cette dernière se caractérise par des cheveux roux, des pommettes expressives, une taille plutôt petite et des yeux typiques en forme d’amande, les yeux du chat. Si l’on parle des traits de l’homme et de son caractère, on note surtout une modestie naturelle, mais aussi le manque de persévérance.

Pour les cheveux roux et la petite taille, cela peut varier, car il y a aussi des Oudmourtes du Nord. Ces derniers se distinguent des Oudmourtes du Sud par des cheveux bruns. Mes parents du Nord ressemblent plus aux Caucasiens qu’aux Oudmourtes.

Outre les apparences physiques qui différencient les Oudmourtes du Sud et ceux du Nord, leurs langues diffèrent entre ces deux groupes. Certains Oudmourtes demandent: «Tu es ben ou bon?» «Ben» et «bon» signifie «oui» en oudmourte, mais les uns disent «ben», et les autres «bon».

Parlons de la langue oudmourte. D’après les résultats duRecensement panrusse de la population, le nombre des personnes qui s’expriment en langue Oudmourte décline petit à petit. Comment expliquez-vous cela ? Y-a-t-il des initiatives pour populariser la langue et la culture Oudmourtes?

Marina Borodina: Personnellement, je pense que les Oudmourtes sont un peu gênés de montrer qu’ils sont Oudmourtes. Je pense que cela provient de la persécution dont ont été victimes les Oudmourtes lors de la conquête des territoires par les Russes au XVIème siècle. En 1552, la Russie a envahi le Khanat de Kazan et les Oudmourtes sont passés sous domination russe. Un an après, les Oudmourtes se sont alliés aux Maris pour fomenter une révolte contre la Russie. Mais la rébellion a été violemment réprimée par les Russes et à partir de 1587, l’Oudmourtie est passée sous la dépendance directe de Moscou.

Je peux citer l’histoire de mon grand-père dont la famille, au moment de la collectivisation soviétique, a dû déménager du Nord dans la partie centrale de l’Oudmourtie. Ils ont habité dans un village russe et il était presque le seul Oudmourte. Pour aller à l’école, il passait par des arrières-jardins parce que les garçons russes lui jetaient des pierres. Alors, peut-être que les Oudmourtes ont gardé cela en mémoire.

Mais maintenant, au contraire, il me semble que l’on fait face à un certain regain pour la langue et la culture Oudmourtes. Par exemple, sont apparus des jeux de table en oudmourte ainsi que la première émission de télévision de la jeunesse en oudmourte Daour TV. Sont désormais organisés des défilés de mode avec des vêtements nationaux ou des activités artisanales. De plus, de nouvelles fêtes nationales apparaissent comme la fête républicaine de Guerber consacrée à la fin des travaux de semis. C’est ainsi l’occasion de chanter des chansons nationales, d’organiser des concours du meilleur laboureur, etc. Les gens viennent de différentes régions de Russie. Il y a des cours de la langue oudmourte dans les écoles pour ceux qui le veulent. Chaque année, il y a de nouvelles activités, des films et du théâtre en oudmourte.

Vous avez mentionné la fête de Guerber, quelles sont les autres fêtes traditionnelles oudmourtes?

Marina Borodina: «L’Anniversaire du cheval» est une deuxième fête organisée tout récemment. C’est une fête d’origine russe, mais elle est célébrée aussi par les Oudmourtes, car il y a un grand haras sur le territoire de l’Oudmourtie. Bien sûr, toutes les fêtes orthodoxes russes qui existent en Russie sont également célébrées en Oudmourtie, mais elles sont appelées différemment, Akashka pour Pâques, Tolsur au lieu de Noël, etc.

Même si la plupart des Oudmourtes sont orthodoxes, certains suivent des croyances traditionnelles. Pouvez-vous nous en dire plus sur les rites et les croyances païennes ?

Marina Borodina: Les Oudmourtes conservent en effet des rites liés au paganisme. Par exemple, quand il y a des funérailles, des branches de sapin sont disposées sur la route du cortège afin que le défunt puisse marcher sur une route propre une dernière fois. Il existe toutefois une autre version de ce rite qui relève plus de la superstition : les branches de sapin sur la route empêcheraient le mort de retourner dans sa maison. Le jour de l’enterrement, certains se rassemblent autour d’un cercle et jettent des pièces de monnaies dans un crâne de vache et puis l’enterrent.

De nombreux rites se passent dans les Kualas qui sont des sortes de maisons de prière avec des prêtres mais je ne peux pas trop en parler car je ne suis pas païenne.

L’histoire du drapeau de l’Oudmourtie est aussi intéressante. Notre drapeau comporte trois couleurs, le noir, le blanc et le rouge. Ces couleurs représentent les trois mondes qui existent chez les oudmourtes. Le noir, c’est le monde de la terre ; le rouge est la couleur du soleil et le symbole de la vie ; le blanc est le symbole du Cosmos et de la pureté des fondements moraux. Au centre du champ blanc, un signe octogonal solaire est représenté. Son nom en oudmourte sonne comme «tolaisé» («lunaire») ou «choudo kizili» (l’étoile de bonne chance). Le signe solaire rouge octogonal est une amulette qui, selon la légende, protège l’homme des malheurs.

Parlez-nous aussi de la cuisine nationale. Quels sont les plats les plus célèbres ?

Marina Borodina: Il y a beaucoup de plats nationaux, mais je vais vous parler que de ceux que je cuisine moi-même. Il y a le virtyrem qui est du boudin noir, et le pérépetchi, un plat avec des garnitures différentes comme des champignons avec des pommes de terre, de la viande ou du chou avec de l’œuf. On casse un œuf sur la garniture et l’on fait cuire le tout dans le poêle russe. Cela ressemble à la quiche, mais la pâte de la quiche est molle, tandis qu’ici la pâte doit être croustillante. On fait aussi des crêpes, classiques, mais avec une sauce faite avec du lait renversé et de la crème. Elles s’appellent miliami ou miliam. Il y a aussi des crêpes avec de la bouillie de millet. La tabani est un plat qui ressemble à une pizza. Elle est préparée avec une pâte faite au lait fermenté, que l’on verse sur une plaque à pâtisserie, et qui se cuit, de nouveau, dans le poêle russe.

Dans notre famille, on cuit et on met immédiatement sur la table de grandes crêpes épaisses. On arrache un morceau que l’on trempe dans la crème aigre ou dans une autre sauce, et que l’on mange immédiatement. Habituellement, ce plat est préparé pour les fêtes et certains rites païens. Par exemple, pour la fête de la Trinité, tout le monde se rassemble au cimetière. Quand un plat est cuit, vous devez absolument vous approcher d’une icône et y mettre un morceau de ce plat. On pense alors nourrir ceux qui sont passés dans l’autre monde. On dit encore, que lorsque l’on mange et qu’un morceau tombe de la table, alors quelqu’un de l’autre monde se souvient de vous ou a faim. Il faut le nourrir, dire un mot spécial pour qu’ils ne t’oublient pas. Cela aussi, je pense, provient du paganisme.

Parlez-nous s’il vous plaît, des représentants les plus célèbres de votre peuple.

Marina Borodina: Je vais parler des héros modernes parce qu’il s’agit de ceux qui ont commencé à lutter pour les droits des Oudmourtes au début du XXème siècle. L’Oudmourtie comme république a un peu plus de cent ans. Les fondateurs sont Kuzebay Guerde (son vrai nom est Kuzma Pavlovich Tchaïnikov), Trokay Borisov et Achaltchi Oki (de son vrai nom Akilina Grigorievna Vekchina). Ils ont été persécutés en leur temps pour leurs convictions nationalistes. Ces personnes ont été parmi les premières à bénéficier d’un enseignement supérieur. Seule Achaltchi Oki a survécu grâce à son métier d’ophtalmologie pendant et après la guerre. Elle écrivait aussi des poèmes.

Il y a également des héros de la guerre comme Baramzina Tatiana Nikolaevna qui a été tireur d’élite et téléphoniste, héroïne de l’Union Soviétique. Pendant la guerre, elle a été capturée et tuée par les fascistes, et Saburov Alexandre Nikolaevitch, major général, héros de l’Union Soviétique, l’un des organisateurs et des dirigeants du mouvement partisan sur le territoire de l’Ukraine.

Parmi les athlètes, figurent beaucoup de skieurs. La plus célèbre est Galina Kulakova, quadruple championne olympique de ski de fond dans les années 1970. Il y a aussi Maksim Vylegzhanin — triple vice-champion olympique de ski de fond en 2014.

Que nous conseilleriez-vous de lire ou de regarder, ou même d’écouter, pour mieux connaître la culture oudmourte ?

Marina Borodina: Nous avons des danses nationales formidables dont la danse typyrton. Elle est similaire, si on la compare aux danses caucasiennes, à la danse nationale lezguinka. Elle est très électrisante car dès qu’on écoute cette musique, les pieds dansent tous seuls.

Nous avons un instrument de musique très typique, le koubyz, qui ressemble un peu à un gusli et à un violon et dont le son est très inhabituel. Plus moderne, il y a l’accordéon que l’on entend justement dans la musique de la danse typyrton.

Nous avons encore des ethnodiscothèques dans lesquelles les chants sont en langue oudmourte, mais dans un style moderne. Parmi les chanteurs, on peut noter Bogdan Anfinogenov qui est très célèbre parmi les jeunes. C’est lui qui a créé la télévision pour la jeunesse Daour TV. Après avoir écrit des chansons en rap, il compose maintenant des poèmes dans lesquels il mélange les langues russe, oudmourte et anglaise.

Qu’il y-a-t-il d’intéressant à voir en Oudmourtie ?

Marina Borodina: Il y a des excursions intéressantes pour quelques jours proposées par les sites visitudmurtia.ru ou udmtravel.ru

L’Oudmourtie est célèbre pour sa belle nature et son climat rigoureux. C’est un paradis pour les pêcheurs, les spéléologues et les amateurs des sports extrêmes. Les touristes du monde entier viennent ici pour se baigner dans les jacuzzis naturels, faire du vélos de montagne, conduire des quads et faire des bouquets chics d’herbes des champs.

On appelle l’Oudmourtie la terre des sources naturelles, parce qu’elle y sont très nombreuses. Il y a un lieu qui s’appelle «Les Sources Parlantes». Il s’y produit un phénomène physique étonnant : quand on s’approche et que l’on commence à parler plus fort alors elles bouillonnent et créent l’effet de parler fort. Vous vous taisez et elles se taisent, vous parlez et elles parlent!

Nous avons aussi la résidence du Père Noël, qui s’appelle Tol Babay, et de sa petite fille, la fille des neiges, Lymynyl. Sa propriété est située dans le village de Sharkan, appelée la «Suisse d’Oudmourtie» par les habitants.

Dans la ville de Votkinsk, il y a la maison du célèbre compositeur Piotr Ilitch Tchaïkovski. Maintenant, c’est un grand complexe de musées, qui a la capacité d’accueillir un plus grand nombre de touristes.

Vous pourrez également visiter le domaine-musée architectural et ethnographique de Ludorvai. À 15 minutes en voiture d’Izhevsk dans le village il y a plus de deux douzaines de bâtiments uniques dans lesquels vous pouvez vous familiariser avec l’histoire de la région. Les plus célèbres d’entre eux sont les domaines de Vostrikov et Yamchtchikov, ainsi que le moulin à vent.

Les amateurs d’histoire seront également intéressés par visiter le domaine-musée «Idnakar» — une ville médiévale des IX—XIII siècles. C’est une véritable reconstitution des époques passées et vous pouvez voir non seulement des objets individuels de la vie quotidienne, mais aussi des pièces entières, des scènes de la vie des anciens habitants de la colonie de Soldyrskoe. L’Oudmourtie produit des armes et notamment le fusil Kalashnikov dont on peut voir le musée dans la capitale Ijevsk.