Cette maison d’édition traduit les auteurs russes actuels


Culture / dimanche, novembre 6th, 2022

La maison d’édition s’appelle Sampizdat. Le jeu de mot annonce la couleur : les textes publiés sont corrosifs. Il fait écho aux samizdats, ces livres cachés, passés clandestinement, pour esquiver la censure soviétique. Pizda, ça, c’est un mot argotique pour désigner le sexe féminin. Les débuts remontent au confinement. Deux traducteurs expatriés à Moscou, Sylvia Chassaing, Antoine Nicolle, décident de se lancer et publier des auteurs russes contemporains. Des dissidents ou des chantres de la liberté, des artistes qui n’ont pas la langue dans la poche. « Nous avons commencé par Egor Letov, un chanteur, poète, un représentant de la scène punk, rembobine Antoine Nicolle, le traducteur. Puis, Aleksandr Brener, un activiste des années 1990, un qui inspira Pavlenski. »

Pour les droits, pas d’obstacle : le premier est décédé et ses ayants-droit ont donné leur accord ; le second est mort. Peut donc se lancer cette maison d’édition amenée à grandir, bâtie autour d’une ligne simple : des auteurs russes, peut-être baltes, kazakhs ou ukrainiens, quitte à travailler avec d’autres traducteurs, mais surtout des modernes, ultra contemporains même, du parti de la dissidence c’est encore mieux. Là-bas, en Russie, c’est foisonnant, mais c’est très peu traduit en français, déplore Antoine Nicolle. Il remarque qu’en France, « on lit peu de littérature étrangère et l’on publie surtout des auteurs ayant déjà acquis une certaine réputation ».

Sampizdat fait parler la dissidence

On promeut peu de Russes et encore moins de Russes contemporains, ça se comprend. La guerre a rendu frileux les éditeurs, les libraires, les distributeurs, et tristement, les lecteurs aussi. Que faire quand on est traducteur de russe ? « Pour l’instant, répond Antoine Nicolle, je ne rencontre pas de blocage mais la question éthique se pose. Je traduis la dissidence russe donc ça reste pertinent. Si je parlais ukrainien, j’aurais sans doute traduit davantage cette langue ». Il a si bien tranché cette « question éthique » qu’il participe à la traduction de la revue ROAR, dirigée par Linor Goralik, une opposante anti-Poutine que nous avons interviewée à la fin de l’été.

Sampizdat est tout un projet, encore en gestation, qui devrait bientôt muter. Pour lors, il reflète la symbiose entre deux collègues professeurs au Collège universitaire de français (CUF) à Moscou. Sylvia Chassaing prépare un doctorat à l’Inalco sur l’émigration russe contemporaine. Antoine Nicolle, après avoir voyagé en Russie, en Asie centrale et dans le Caucase, et donné des cours avec Sylvia à Moscou entre 2018 et 2021, est revenu à l’enseignement, en France. Leur ambitieux projet, qui embarque désormais un distributeur tel que Paon Diffusion, leur accapare tout leur temps libre. Les livres s’écoulent tranquillement. « C’est un secteur de niche, mais ça nous plait, résume Antoine Nicolle. Nous traduisons des auteurs qui ne vivent pas de leur plume, qui sont diposés à travailler avec des passionnés, c’est gratifiant ».

Pour en savoir plus : https://www.sampizdat.org/