Peuples de Russie : les Tatars, traditions et culture


Culture, Histoire, Interview / vendredi, décembre 16th, 2022

Daria Smirnova, journaliste pour L’Ours Magazine, a rencontré Almira Taguirjanova, ethnographe régionale de Saint-Petersbourg. Elle nous parle de l’histoire des Tatars, de leur culture et de leurs traditions.

Daria S. : La culture tatare est ancienne et unique. Pourriez-vous nous parler un peu de l’histoire de ce peuple ?

Almira T. : Comme on le sait, les Tatars sont un peuple turcophone et représentent la deuxième plus grande population de la Fédération de Russie après les Russes. En effet, le territoire entier de la Russie était désigné comme la Tartarie sur les anciennes cartes géographiques européennes. Il est intéressant de noter que les voyageurs européens qui visitaient Saint-Pétersbourg au 18e siècle désignaient l’aristocratie russe sous le nom de Tatars.

La Volga traverse le Tatarstan, et le détroit de Tatar se trouve en Extrême-Orient, à environ 6 000 kilomètres de Kazan, la capitale du Tatarstan.

Le dictionnaire encyclopédique de Brokgauz et Efron, publié entre les années 1890 – 1907, précise dans l’article consacré aux Tatars qu’il s’agit d’un nom collectif pour les peuples turcophones adeptes de l’islam. En effet, les mots “Tatar” et “musulman” étaient synonymes même dans la première moitié du 20e siècle à Saint-Pétersbourg (Leningrad). Les Tatars étaient historiquement divisés selon les régions suivantes : Volga, Sibérie, Astrakhan, Crimée, Penza, Nijni Novgorod, Kasimov… et ils possédaient tous leur propre histoire héroïque et unique.

Comment les Tatars ont-ils fait partie de la Russie, et dans quelles conditions cette intégration se passait-elle ?

La Russie est un État multinational, et elle était autrefois appelée l’Empire russe, il y a un peu plus de cent ans. Tous les empires, sans exception, ont été créés par des campagnes de conquête. L’Empire russe a commencé à se former après l’annexion du khanat de Kazan en 1552, c’est-à-dire après que les Tatars de la Volga ont été dépouillés de leur statut d’État.

Et la langue tatare, qu’en est-il ? Y a-t-il un déclin considérable de l’utilisation de la langue tatare en tant que langue de communication au sein même de la population ? Que peut-on faire et que fait-on pour populariser la langue et la culture tatares ?

Le monde est entré dans l’ère de la mondialisation, ce qui signifie l’intégration des économies, des cultures et des sociétés dans le monde entier. Il est connu que l’anglais est aujourd’hui la langue de la communication internationale et la langue de la science. Les Tatars d’aujourd’hui ne vivent pas seulement au Tatarstan. Ils sont répartis dans différentes régions de Russie, ils vivent dans les pays voisins (dans les anciennes républiques soviétiques) et dans les pays lointains (en Europe, en Amérique, en Australie).

La langue tatare est inscrite au programme scolaire dans les communautés compactes (villages tatars dans différentes régions de Russie et du Tatarstan), mais les Tatars n’y vivent pas toujours, et tout le monde n’a donc pas de possibilité d’enseigner sa langue maternelle à ses enfants. Avant la révolution d’Octobre, les écoles étaient rattachées aux mosquées et tous les enfants apprenaient les bases de l’islam, l’écriture, l’arithmétique et la lecture en tatar pendant l’hiver.

La protection de la langue tatare pose des problèmes depuis la période soviétique, lorsque la littérature tatare “Turki” créée par Ismail Gasprinski a été abandonnée et que l’écriture a ensuite été modifiée trois fois. En dehors de la république, les problèmes sont toutefois partiellement résolus grâce aux organisations publiques tatares qui organisent des cours de langue pour les adultes et les enfants. La langue tatare fut enseignée sur la télévision centrale (la chaîne Kultura). Il existe un enregistrement vidéo de cette émission.

Le Congrès mondial des Tatars, une organisation publique interrégionale créée dans les années 1990, s’occupe de la promotion de la langue et de la culture tatares.

tradition tatar russie

La majorité des Tatars professent l’islam sunnite. Quelles sont ses particularités ?

Cette année, les Tatars ont célébré le 1100e anniversaire de leur adhésion à l’islam. Bien sûr, pendant cette période, la religion a considérablement contribué aux traditions et aux valeurs familiales ; et c’est grâce à elle que de nombreux mots arabes et persans ont été empruntés. La caractéristique principale, à mon avis, c’est le costume national. Les Tatars, pour des raisons compréhensibles, dues aux conditions climatiques, n’ont jamais porté les vêtements traditionnellement acceptés dans les pays arabes.

Parlez-nous de la mythologie tatare. Quelles sont les légendes et les traditions qui existent encore aujourd’hui ?

La mythologie tatare est un sujet particulièrement important. Les contes de fées évoquent des créatures mythiques, qui habitent la terre et l’eau, les maisons et les forêts. Ces monstres sèment la pagaille dans les maisons, effraient les enfants, tuent des gens, etc.

La plus célèbre épopée historique du peuple tatar est l’épopée “Idegei”, la seule du folklore tatar préservée sous forme de vers. Elle retrace l’histoire complexe de l’effondrement de la Horde d’or à la fin du XIVe siècle et s’appuie sur des événements historiques réels. Les héros de l’épopée sont des personnages historiques réels.

Comment décririez-vous la cuisine nationale ?

La cuisine tatare est un phénomène assez unique dont on peut parler pendant très longtemps. Chaque région a ses particularités. Le point commun est l’abondance de plats à base de viande et de farine, de pâtisseries diverses (cuites ou frites dans une grande quantité d’huile végétale). Les Tatars mangent également des légumes, des fruits, des produits laitiers et du porridge. Des saucisses de viande de cheval crue sont reconnues comme un délice. Les Tatars aiment bien boire du thé, surtout avec du miel, du lait et des pâtisseries sucrées.

Quelle est l’histoire des fêtes traditionnelles ?

Les deux principales fêtes religieuses du Ramadan Bayram et du Kurban Bayram mises à part, la fête la plus populaire et la plus caractéristique des Tatars est le Sabantuy, une ancienne fête des agriculteurs. Traduit littéralement, il signifie “mariage de la charrue”, c’est-à-dire le mariage de la charrue et de la terre, qui donnera la récolte.

tatars russie

Avant la Révolution de 1917, la fête était traditionnellement célébrée avant le début des travaux des champs au printemps. Après la Révolution, les Tatars ont réussi à prouver que la fête ne concernait en rien la religion. Dans les villes, la date de la célébration a été reportée au jour de la formation de la République socialiste soviétique autonome tatare (27 mai 1920), et dans les zones rurales, la célébration avait lieu à la fin du mois de juin.

Le festival propose de nombreuses compétitions, concours et épreuves surprises, de sorte que les spectateurs deviennent toujours des participants. Jadis, les gens fabriquaient leurs propres prix pour les participants, donc pour les voisins. Les courses de chevaux et la lutte nationale masculine étaient des attributs obligatoires du festival. Il y avait plusieurs sortes de concours : les femmes faisaient une course avec une palanche, les hommes faisaient du tir à la corde, etc.

Pour Sabantuy, des artistes folkloriques ont composé des chansons et organisé des concours de chant. La fête est célébrée partout où vivent les Tatars. Aujourd’hui, elle est connue dans de nombreux pays et sur différents continents. Sabantui a été inscrit par l’UNESCO sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité et, en 2017, le Sabantuy paneuropéen a été célébré à Paris.

Qui sont leurs héros nationaux, les représentants du peuple ?

Il est bien connu que les Tatars ont fait preuve d’un héroïsme exceptionnel pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y a beaucoup de héros parmi les officiers et les soldats. Leur exploit est immortel.

Le poète antifasciste Musa Dzhalil (1906-1944) est le mieux connu non seulement des Tatars, mais partout dans le monde. Il se battait pour proteger Leningrad, a été blessé, fait prisonnier, créé un mouvement antifasciste de résistance et a été exécuté à la guillotine. Emprisonné, il a écrit un cycle de poèmes dans le “Carnet de Moabit“. Dzhalil a reçu à titre posthume le titre de héros de l’Union soviétique et le prix Lénine de littérature. Plusieurs monuments, plaques commémoratives et bustes ont été érigés dans différentes villes à son honneur, et des rues et des bibliothèques portent son nom.

Que recommanderiez-vous aux étrangers de lire, regarder ou écouter pour se familiariser avec la culture tatare ?

Les Tatars étant dispersés dans toute la Russie, je vous recommande mes livres : “Les musulmans dans la vie et la culture de Pétersbourg (18e – 19e siècles)“, “Le livre sur Musa Efendi et son époque et ses contemporains“, “Les mosquées de Pétersbourg : projets, réalisation, histoire de la communauté musulmane“, le guide “Saint-Pétersbourg au goût oriental : promenades dans la ville“, etc.

Il y a beaucoup de littérature scientifique et de vulgarisation scientifique, mais je ne sais pas s’il existe des traductions en français. Pour autant que je sache, “Zuleikha ouvre les yeux” de G. Iakhina est devenu populaire en Europe. Evidemment, l’auteur a tenté de populariser l’histoire des Tatars à l’époque des répressions de masse, mais il s’agit avant tout d’une fiction, et les historiens ont donc, à juste titre, fait des commentaires négatifs à son sujet. Le sujet est présenté de manière très superficielle et l’adaptation cinématographique du livre non seulement n’a pas corrigé les erreurs fondamentales, mais en a ajouté de nouvelles.

Une réponse à « Peuples de Russie : les Tatars, traditions et culture »

  1. comment savoir ce qui se passe actuellement en Russie ? J’aimerais aussi savoir ce qui s’est passé pour le pipeline en mer saboté par une “force étrangère.
    à bientôt

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