Svetlana Trébulle : “Le cinéma doit permettre de s’évader de la réalité”


Culture, Interview, ITWC / lundi, septembre 17th, 2018

La réalisatrice franco-russe Svetlana Trébulle a lancé une campagne de crowdfunding pour financer son prochain court-métrage, La Louve. Elle a accepté de revenir avec L’Ours Magazine sur son parcours, qui est loin d’être académique.

Svetlana, vous êtes née en Russie et vivez en France. Pouvez-vous raconter votre jeunesse russe ? 

Je viens de Iaroslav, à 280km de Moscou. C’est une ville historique et sympathique. Vers 17 ans j’ai eu un penchant littéraire. C’est toujours plus difficile de réussir dans cette voie en Russie parce qu’on la considère secondaire donc il n’y a pas de budget. On ne peut pas en faire un vrai métier. Les gens voient que les artistes ont du plaisir dans leur activité donc ils en déduisent que ce n’est pas un métier. Ensuite mes proches m’ont dit “attention, dans le cinéma, il faut des relations, il faut coucher” etcetera.

Comment le cinéma est-il devenu votre passion ?

J’ai grandi en URSS où il n’y avait que deux chaînes de télévision. Pendant les vacances, ils diffusaient des fictions tirées de contes pour enfants : Cendrillon, la reine des neiges… J’attendais avec impatience les vacances car cela me permettait de m’évader, il y avait un côté “surélévation” dans ces univers fantastiques. J’ai vu mon premier film à sept ans avec mes parents, c’était “Autant en emporte le vent”. Ce fut une expérience énorme!

On a regardé Alien (…) Cela m’a marquée à vie. La peur, l’isolement, tous les sentiments qu’on peut avoir.

Donc vous voyiez des films américains ?

Oui, à 12 ans aussi. J’avais une amie un peu privilégiée car son père, qui voyageait, avait un magnétoscope. Personne n’avait cela chez soi. Un jour que son frère aîné n’était pas là, on a regardé “Alien”. On ne voyait jamais ce genre de choses. Cela m’a marquée à vie. La peur, l’isolement, tous les sentiments qu’on peut avoir.

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Natalia Pujszo interprète le rôle de la Louve. Sa rencontre avec Svetlana Trébulle a été le fruit d’une coïncidence (voir suite de l’interview). Photo Nixe production

Vous aimez aussi le cinéma national ?

Récemment j’ai revu “Miroir” d’Andrei Tarkovski. Je m’y reconnais, mais d’un côté je me dis “Tous les Russes, on doit être des tarés”. J’adore Zviaguintsev, mais juste ses deux premiers films, “Le bannissement” et “Le retour”, toujours à la frontière du réel et de l’irréel. Il y a des images qui sont de vrais tableaux.

Pourquoi ne pas avoir poursuivi dans le cinéma ?

J’ai fait ce qui était le “plus littéraire” possible dans ma voie : le droit, pendant cinq ans. Quand mes deux meilleures amies sont parties en France pour leurs études, je les ai suivies. En plus, j’avais suivi des cours dans une école spécialisée de français. Rapidement j’y ai rencontré mon futur mari. C’est difficile quand on est étrangère sans diplôme, alors j’ai obtenu un master en droit des affaires, puis j’ai enchaîné quelques stages pour France 3, la télé et le ciné.

C’est à ce moment que vous avez pu basculer vers le grand écran ?

L’ère du digital fut ma grande chance. J’ai réalisé beaucoup de projets audiovisuels pour des marques de luxe. Ensuite, j’ai multiplié les projets, comme “Labyrinthe” qui a été présent au Short film corner à Cannes ou d’autres petits films de Nixe productions.

Comment vous est venue l’idée de La Louve, votre prochain film ?

Comme un éclair. Je lisais un énième conte à ma fille. Je lis toujours en russe, pour maintenir la langue même si elle est née en France. Le soir même, j’ai écrit le premier jet du script sur l’ordinateur. J’ai écrit le conte que j’imaginais à part, ensuite ça coulait de source. Le film parle de Victor, un jeune passionné par le personnage fictif d’une jeune femme élevée dans la forêt. Il apprend que trois hommes ont été déchiquetés par un loup dans une forêt et décide de partir voir.

Le film questionne l’attachement aux racines. C’est un peu du vécu ?

Je suis arrivée en France à 23 ans, cette histoire c’est mon histoire. Inconsciemment malgré l’éloignement on garde toujours les liens.

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La bande-annonce du film est déjà en ligne. Une campagne a été lancée sur Ulule pour récolter des fonds (voir fin de l’article). Photo Nixe production

Quel est votre vision du cinéma ?

Je ne veux pas qu’on me catalogue, j’aime le mélange. Quand je vais au cinéma, c’est pour m’évader. On doit pouvoir s’évader de la réalité et pas montrer la noirceur du quotidien.

J’ai demandé d’avoir un vrai loup, pas question d’avoir un chien-loup pour le film.

Le projet est bien avancé ?

Nicolas Libermann, le producteur, a lu le script et il est intéressé. Je n’ai pas demandé d’aide au CNC ou à la Région. J’ai déjà d’autres projets en développement. On tournera en octobre, sans doute dans la forêt de Fontainebleau. C’est un super endroit mais c’est très cher de tourner dedans. Aussi, j’ai demandé un vrai loup, pas question d’avoir un chien-loup pour le film. C’est pour ça que vendredi 14 septembre j’ai lancé une campagne de crowdfunding.

Comment avez-vous trouvé les acteurs ?

J’ai passé plusieurs annonces à la Maison du film, sauf pour le personnage central qui est la Louve. Natalia [La Louve, ndlr] postulait pour faire la réceptionniste, mais quand je l’ai vue j’ai été intriguée. Après l’avoir croisée par hasard au festival de Cannes, en sortant d’un restaurant, je l’ai vue au casting. C’était elle, il n’y avait pas de doute. Sinon, j’ai rencontré Liza Paturel via Facebook et les autres avec le casting.

Propos recueillis par Paul Leboulanger