L’ombre de Staline : histoire d’un déni mondial


CF, Culture / vendredi, juillet 10th, 2020

Le film L’ombre de Staline, sorti au cinéma au moment du déconfinement, dresse un terrible portrait de l’URSS des années 1930. Outre la famine ukrainienne, il dénonce l’omerta occidentale et la censure des journalistes.

Les passionnés d’histoire et de culture russe ont dû apprécier la nouvelle : le film de la “rentrée sanitaire” se situe en Union soviétique dans les années 1930. Staline est au pouvoir et engage un grand plan industriel pour que le pays rattrape en quelques années son retard. Mais avec quel argent ? C’est la question que se posait alors le journaliste gallois Gareth Jones, qui travaille pour le cabinet de Lloyd Georges.

Gareth Jones à la recherche de la vraie Ukraine

Auréolé depuis son interview avec Adolf Hitler, Gareth Jones est le reporter anglo-saxon du moment. Il gagne le pays des Soviets pour élucider cette question du financement des bolchéviques. Sur place, il est confronté à des pressions, des menaces, de l’indifférence de la part des autorités et du principal journaliste présent : le prix Nobel Walter Duranty, qui s’acoquine avec le Kremlin.

L’ombre de Staline nous emmène aux côtés de James Norton, parfait dans le rôle du reporter trop curieux, asocial et qui aime jouer avec les limites de la légalité. On le suit dans l’immense Ukraine, glaciale, morbide, extrêmement pauvre, accablée par la famine et le travail. On le suit dans cette Ukraine qu’aucun Occidental n’imaginait à l’époque.

L’aveuglement volontaire des Occidentaux

Car c’est le but du film : montrer le déni généralisé des années 1930 où le mot “progrès” primait sur tous les autres, où l’on croyait que les idéaux et les idéologies allaient vaincre la bestialité humaine. L’URSS, en tant que laboratoire marxiste, devait apporter la prospérité et la liberté aux travailleurs. Pour les socialistes du monde, la critique a été molle voire inexistante.

Ce qu’on découvre dans cette oeuvre d’Agneszka Holland, c’est que ce déni était aussi partagé par les adversaires farouches du communisme. On voit notamment les Britanniques et les Américains taire les révélations sous prétexte de diplomatie et de business. On voit un prix Nobel se coucher devant la hiérarchie soviétique.

La famine ukrainienne et la censure qui en découle n’arrangeaient pas seulement Staline. Elles faisaient les affaires des entrepreneurs du monde entier, ceux qui investissaient dans les usines et prêtaient massivement leur argent aux Russes.

Un film qui mérite d’être vu !

Au-delà de la grande Histoire, il y a aussi celle de Gareth Jones, un journaliste intègre qui porte la plume dans la plaie. Il aurait pu finir Premier ministre ou prix Nobel : il a choisi la vérité, au prix de sa vie. Cet hommage posthume le rétablit après des années d’oubli, et fait presque de lui le père spirituel de George Orwell.

Pour ce qui est de la forme, le jeu d’acteur est impeccable, la musique et l’image également. On déplorera peut-être un montage disparate et, de fait, un rythme bien trop irrégulier qui perd certains spectateurs. Cependant, ce film a assez d’intérêt pour que vous vous dépêchiez d’aller le voir !

Crédits photo : Condor Films