Le chef d’orchestre du Bolchoï a livré une performance extra qui a revigoré l’opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov. Le public de la Philarmonie de Paris était aux anges.
La salve d’applaudissements n’en finit plus. A force de taper à tout rompre, une vieille dame remue les mains pour se les dégourdir. Un jeune homme est bluffé : « C’est rarement d’une qualité aussi grande ! » Tugan Sokhiev, directeur et chef du théâtre Bolchoï, est ovationné par la foule, les bravo fusent de toutes parts.
Sur scène, près de 80 choristes venus tout droit de Moscou : des ténors, basses, altos et sopranos. Devant eux, un orchestre parmi les plus prestigieux du monde. Chaque section a compté sur des meneurs remarquables, qui n’ont pas démenti leur talent : Vladimir Sklyalevskiy et Roman Yanchishin (violons), Galina Erman (flûte), Boris Lifanovski (violoncelle) Sergey Lisenko (clarinette) et Sergey Petrov (hautbois), pour ne citer qu’eux.
Stanislav Trofimov a fait vibrer Pskov… et Paris
Le basse Stanislav Trofimov, qui interprétait le tsar Ivan le Terrible, a magnifiquement déployé sa palette en accord avec l’orchestre pour mêler à l’histoire terrible de l’assaut sur la ville russe de Pskov des sentiments forts, allant du martial à la solennelle gravité.
A la réplique, la soprano Dinara Alieva a donné au personnage d’Olga une grâce gestuelle qui bien souvent signifiait l’impuissance face à la folie des hommes. Sa partition est exquise, elle a offert des moments d’ataraxie à l’arène philharmonique qui le lui a bien rendu.
Autre interprète génial en ce samedi de mars, Oleg Doglov. Son entrée en scène a changé la tournure de la soirée. Oleg Doglov peut bien sûr remercier le grand Rimski-Korsakov, mais ce n’est pas à lui qu’il doit sa voix profonde, son timbre net et sa diction si comme il faut.
Tugan Sokhiev a fait de l’orchestre son instrument
Le directeur du Bolchoï confiait récemment au public toulousain sa vision du chef d’orchestre : « C’est un musicien dont l’instrument est… l’orchestre. Pour progresser, il doit pratiquer. Or, quand vous jouez du violoncelle ou de la flûte, vous pouvez travailler votre instrument à la maison. L’orchestre, lui, ce n’est pas facile de l’apporter à la maison ». Sokhiev est moderne en surface, mais dans son rôle est totalement attaché à la grande tradition.
Lors d’Ivan le Terrible, il était enjoué. Il savourait le chœur qui se mêlait à ses violons, il domptait les deux ailes de l’orchestre avec aisance. Mais surtout, l’opéra de Rimski-Korsakov mettait au cœur des trois actes les flûtistes – somptueux. Galina Erman à la flûte et Sergey Lisenko au hautbois, placés au centre, cousaient dans la dentelle. L’opéra russe semble faire des solistes le sel indispensable à toute composition.
Paul Leboulanger
Ivan le Terrible en bref
Histoire d’amour frustrée en plein bataille de Pskov, celle d’Olga et de Toutcha se déroule en trois actes. Plus connu sous le nom de la Pskovitaine, cet opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov a été baptisé Ivan le Terrible pour le public français, lors des Ballets russes de Diaghilev en 1909. C’est sous ce nom que la Philharmonie l’accueille ce 16 mars 2019, 110 ans après.
Sergueï Prokofiev a également composé un Ivan le Terrible, pour un film d’Eisenstein.
17/03/2019 : Tugan Sokhiev s’attaque à Rachmaninov et Borodine.
02/04/2019 : Alain Altinoglu se consacre à Chostakovitch, Rachmaninov et Moussorgski.
Photo Midi libre
Tugan Sokhiev dirige l’Orchestre national du Capitole de Toulouse (un des plus renommés de France) depuis 2003. Il avait 26 ans à l’époque, son premier grand poste permanent, bien avant le Bolchoï… Il est donc connu du public français depuis longtemps.