Notre série “Peuples de Russie” continue cette année avec les Bachkirs qui habitent entre les montagnes de l’Oural et la Volga. Ce peuple de la grande famille turque compte environ 2 millions de représentants dans le monde dont 1,5 million dans la seule Russie. Cette interview a pour but de comprendre leur culture et leur intégration à la Russie.
La journaliste Daria Smirnova s’est entretenue avec Regina Akhmetyanova, étudiante en 5e année de l’Université pédagogique d’État de Bachkirie du nom de Miftakhetdin Akmulla, de l’histoire de ce peuple et de tout ce qui le distingue.
D’où vient le nom de ce peuple ? Qu’est-ce qui distingue les Bachkirs des autres peuples turcs ?
R. A. : Les Bachkirs font partie des peuples turcs et habitent principalement le Bachkortostan, territoire de la Fédération de Russie. Son histoire remonte à plusieurs millénaires. Il existe plus de 50 théories différentes pour expliquer l’origine de l’ethnonyme Bachort («башҡорт»). L’une des plus populaires est celle émise par les chercheurs du XVIIIe siècle, qui avancent que l’ethnonyme se compose de deux mots du groupe des langues turques Bach / ort et signifie « chef des loups ».
Les Bachkirs sont bien connus pour leur hospitalité et leur bienveillance. Chaque invité se voit offrir du thé et des spécialités nationales. Un autre trait distinctif des Bachkirs est leur amour pour les chevaux. Ceux-ci constituent un élément important de la culture nationale depuis des siècles, et de nombreux Bachkirs sont des cavaliers expérimentés et des éleveurs de chevaux. Enfin, il faut évoquer le costume national, dont chaque détail incarne la riche histoire de la Bachkirie et reflète le mode de vie et le caractère de ses habitants.
La culture bachkire est ancienne et unique. Pourriez-vous nous parler un peu de l’histoire de ce peuple ? Quel est son héritage ?
Le Bachkortostan est situé à la frontière de l’Europe de l’Est et de l’Asie de l’Ouest, et son territoire est habité depuis l’Antiquité par différents peuples et tribus.
Pendant de nombreux siècles, les Bachkirs ont lutté pour leur indépendance face aux Mongols, aux princes russes et à d’autres conquérants. Au milieu du XVIe siècle, les Bachkirs ont rejoint l’État russe, dont ils font désormais partie intégrante. Aujourd’hui, les Bachkirs vivent en Russie, au Kazakhstan, en Ouzbékistan et dans d’autres pays. Ils préservent leur culture, leurs traditions et leur langue tout en poursuivant le développement de leur identité nationale.
Comment les Bachkirs sont-ils devenus une partie de la Russie et comment ce rattachement s’est-il déroulé ?
La Russie, anciennement connue sous le nom d’Empire russe, est aujourd’hui un État multiethnique. Il y a en effet trois points de vue sur le caractère du rattachement au territoire russe. Certains le voient comme volontaire, d’autres comme forcé et il est possible qu’il s’agisse d’une combinaison des deux. Les Bachkirs firent leur entrée dans l’État russe peu après la conquête du khanat de Kazan par le tsar Ivan IV. Entre 1554 et 1557, des négociations sur l’acceptation de la citoyenneté russe par les Bachkirs eurent lieu. Des ambassadeurs bachkirs se rendirent à Moscou en 1557 et reçurent des lettres de réclamation de la part du tsar. En 1957, la République socialiste soviétique autonome de Bachkirie a célébré le 400e anniversaire de son rattachement à la Russie. Un monument de l’amitié a été érigé à Oufa en souvenir de cet événement.
L’UNESCO classe le bachkir parmi les langues vulnérables. Existe-t-il un déclin massif de l’utilisation du bachkir au sein de la population elle-même ? Quelles mesures peuvent être prises et lesquelles sont déjà prises pour populariser la langue et la culture ?
La langue bachkire est l’une des principales langues du Bachkortostan et, en même temps, la langue du peuple autochtone et fondateur de la république, les Bachkirs. Malheureusement, le scénario de son évolution est aujourd’hui plutôt négatif. En 2009, cette langue a été incluse dans l’Atlas des langues en danger de l’UNESCO, ayant reçu le statut « vulnérable ». Les difficultés liées à l’utilisation et à l’étude de la langue bachkire au Bachkortostan sont dues à la diminution de son utilisation dans la vie quotidienne et à la réduction de son étude dans les écoles.
Plusieurs événements sont organisés afin de populariser la langue et la culture, préserver et développer le patrimoine national. Comme, par exemple, des festivals et des concours annuels consacrés à la culture bachkire, tels que Cheval bachkire, Asyltache et d’autres. Des programmes et des projets sont également créés pour soutenir et développer la langue nationale, comme Héritage de l’Oural et Dictée internationale en langue bachkire.
La majorité des Bachkirs pratique l’islam sunnite. Comment la religion les a-t-elle influencés ? Quelles sont les particularités de l’islam bachkir ?
L’adoption de la religion islamique a influencé les Bachkirs de la manière suivante :
- Elle a eu pour effet, entre autres, d’accroître le niveau d’éducation des Bachkirs. La religion leur a ouvert l’accès à l’écriture, ce qui leur a permis d’apprendre à lire et à écrire en arabe.
- L’islam a autorisé la polygamie, ce qui a permis de résoudre le problème de la démographie chez les Bachkirs.
- La charia a expliqué la notion des droits de l’homme au peuple bachkir, ce qui a marqué le début du système politique. Toutefois, l’islam bachkir présente un certain nombre de particularités. Par exemple, contrairement aux peuples caucasiens, les Bachkirs accordent un rôle particulièrement important aux femmes. Comme c’étaient les hommes qui combattaient le plus souvent, toutes les tâches ménagères étaient confiées aux femmes. Les femmes-mères élevaient les enfants, les instruisaient et leur transmettaient leur savoir, tout en supervisant les tâches ménagères. Les vieilles femmes devenaient alors des symboles de sagesse et tout le monde respectait leurs paroles.
Les Bachkirs se distinguent également par leur tolérance à l’égard des représentants d’autres religions. Les musulmans bachkirs se montrent pacifiques et acceptent amicalement les chrétiens et les païens sur leur territoire.
Pourriez-vous nous parler de la mythologie bachkire ? Quelles sont les légendes qui ont survécu jusqu’à aujourd’hui ?
La mythologie bachkire comprend de nombreuses croyances, légendes et mythes qui ont survécu jusqu’à aujourd’hui. On retrouve les éléments les plus anciens de la mythologie bachkire dans des œuvres épiques telles que Akbouzat, Zayatulyak et Khyukhylu et d’autres. Ces mythes expliquent comment sont nés la terre et les corps célestes, comment les hommes ont été créés et comment l’ordre a été instauré dans le monde, et présentent les dieux suprêmes tels que Tengri et Humai.
L’épopée historique la plus célèbre du peuple bachkir est Ural Batyr. Celle-ci raconte une histoire de Ural Batyr, un héros, qui luttait contre des forces maléfiques menaçant la vie des gens. Le héros entreprend un voyage pour trouver une source d’eau vive et sauver son peuple.
Pouvez-vous décrire la cuisine nationale bachkire ?
La cuisine bachkire se distingue par sa diversité et son originalité. Ses éléments principaux sont de nombreux plats à base de viande et de farine. L’un des plats les plus populaires est le « bichbarmak », un plat de viande et de pâte servi avec du bouillon. Les autres plats les plus courants sont le « churpa » (soupe avec des nouilles faites à la main), le « kazy » (saucisse à base de viande de cheval) et le « tultyrma » (saucisse à base de viande et de riz). La pâtisserie est présentée notamment par le « kystybiy », le « beliche », le « gubadiya » et le « tchak-tchak ».
Les Bachkirs apprécient le thé, surtout avec du miel et du lait, ainsi que le koumiss, une boisson lactée fermentée à base de lait de jument.
Quelle est la place accordée aux fêtes traditionnelles ?
Outre les deux principales fêtes musulmanes – Uraza-Bayram et Kurban-Bayram, la fête principale et reconnaissable des Bachkirs est Sabantui, fête du printemps consacrée à la fin des semailles. Au programme : compétitions sportives, danses, chants et autres divertissements.
Le Kakaka eiasia («Кәкүк сәйе») ou « thé du coucou » est une fête féminine qui symbolise l’arrivée de l’été. Elle était traditionnellement célébrée sur une montagne ou près d’une rivière. Un des aspects importants de cette fête était la divination : les femmes faisaient des vœux pour elles-mêmes ou pour leurs proches et demandaient ensuite au coucou si le vœu allait se réaliser. Les coucous longs et bruyants étaient considérés comme un bon signe.
Ara boutae («Ҡарға бутҡаһы») ou « bouillie de corbeau » est aussi une fête féminine qui a lieu au printemps, après l’arrivée des corbeaux. À cette occasion, les femmes adressent des prières pour le bien-être de leur famille et accomplissent des rituels pour protéger leurs enfants de la maladie et de la malchance.
Quelles recommandations donneriez-vous aux étrangers qui souhaitent se familiariser avec la culture bachkire ?
Pour découvrir la culture bachkire, je vous recommande de regarder les films réalisés par Bulat Yusupov et le dessin animé Amours du Nord de 2023. Il s’agit d’un dessin animé fascinant qui raconte l’histoire de cinq guerriers bachkires soumis à diverses épreuves. Les soldats français les ont surnommés « Amours du Nord » en l’honneur du dieu de l’amour, car ces guerriers étaient armés d’arcs et de flèches. Quant à la musique, écoutez les artistes populaires tels que Argymak, Burelar et l’orchestre Bichbarmak, Rena Rnt ou encore Altynai Valitov.
Il y a beaucoup de littérature sur la culture de ce peuple, mais il doit être difficile de trouver des traductions en français. Vous pouvez lire des livres de Mustay Karim ou des poèmes de Rami Garipov, qui sont des écrivains bachkirs célèbres.