“Le nègre violet” : les mémoires de Vertinski publiées par Louison


CL, Non classé / lundi, octobre 30th, 2017

vertins3La maison d’édition Louison propose aux lecteurs des livres russes traduits en français, souvent contemporains, mais aussi d’auteurs disparus. Le 19 octobre, elle a inhumé les mémoires du chansonnier Alexandre Vertinski, Le nègre violet. Son passage à Paris est une mine d’information sur le visage de la capitale à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Tout comme il excellait dans l’écriture en vers, Vertinski débordait de talent pour s’exprimer en prose. La partie Enfance de son autobiographie rappelle les introspections de Maxime Gorki et de Vassili Gontcharov. Il explique l’enfant grâce à son environnement : Kiev, les fleurs, les repas en famille, les durs coups de la vie… Avec Vertinski, on sent les saisons défiler et l’esprit se former. Cette partie narrative, qui se poursuit avec Jeunesse à Kiev et Jeunesse à Moscou, regorge de tendres anecdotes et de descriptions des quartiers, des communautés, des générations… Des tableaux d’ensemble peints avec un pinceau précis et délicat.

Cependant, le livre bascule lorsque le comédien et chansonnier Vertinski émigre. En Roumanie, en Pologne, en Turquie, en Allemagne… Il parcourt le monde pour gagner sa vie, nostalgique de sa mère patrie qu’il chérit encore dans ses poèmes. Les mémoires ne racontent alors plus la même chose. On perd l’homme. En revanche, l’auteur a l’art de dresser le portrait des villes qu’il traverse. Bucarest corrompue, Berlin égarée… Mais la partie qui nous intéresse, Français, est sa découverte de Paris, repaire des Russes de France.

“Il est si difficile d’impressionner Paris”

A proprement parler, la France que j’ai connue se limite à Paris mais, pour autant, Paris, c’est toute la France ! Je peux le dire, moi qui ai vécu dans ce beau pays près de dix ans. J’ai aimé la France profondément, comme presque tous ceux qui y ont vécu longtemps. Paris subjuguait tous les cœurs, il subjugua aussi le mien. On ne pouvait pas ne pas l’aimer, tout comme on ne peut l’oublier ou lui préférer une autre ville. Ayant sillonné l’Europe, séjourné en Amérique, et dans d’autres endroits du monde, je n’ai jusqu’à présent pas connu de lieu sur cette terre qui lui soit comparable. Nulle part à l’étranger, les Russes ne se sont sentis aussi libres et légers qu’à Paris. Il était aisé d’y trouver ses repères et un travail. Dans cette ville de plusieurs millions d’habitants, nul ne s’immisçait dans votre vie privée. Lorsque vous aviez de la chance, c’était formidable. Votre personnalité et votre liberté étaient prises en considération et respectées.

L’orgueilleux lecteur est ravi d’apprendre que l’émigré russe, toute sa communauté, et même tous les étrangers adoraient la France, qu’elle exerçait sur eux un magnétisme mystérieux. Alexandre Vertinski se sentait enfin artiste, il se sentait enfin reconnu à sa juste valeur. Pourtant, dans les boui-boui de Montmartre, les clients l’écoutaient autant que lorsqu’il se produisait dans un restaurant roumain. C’est tout de même un coup de foudre pour la capitale des Lumières, seule ville qui divertisse son cœur, encore ligoté à son amour perdu, la Grande Russie.

A Paris, le barde russe rencontre le grand-duc Dmitri Pavlovitch, l’un des deux assassins de Raspoutine et, par ailleurs, l’amant de Chanel. Il fait également, par hasard, la connaissance du prince de Galles, qu’il prend au premier abord pour un excentrique. Vertinski a du mal à poser ses pieds sur le pavé parisien et se sent voler. Personne ne l’acclamera, personne ne le haïra. “Il est si difficile d’impressionner Paris”…

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=3IY4r_NsRx8

Alexandre Vertinski, émigré et patriote

Mais Paris, qui refuse de penser à la guerre qui se prépare, court à sa perte. Les rues grouillantes, les touristes excités, les premières révoltes communistes… Et déjà, un représentant du national-socialisme français propose à Vertinski de devenir la mascotte d’un parti nazi russe ! Le chansonnier tourna les talons et se contenta de rire. Même le parti d’Adolf Hitler n’impressionnait pas Paris.

Toujours Vertinski défendit son pays. Il n’a pas l’amour du soviétisme, mais aime le peuple révolutionnaire. Il n’aime pas Staline, dont il aperçoit le portrait dans un lieu de culte en Palestine, mais il adore imaginer – à travers la presse – ses compatriotes qui bâtissent une Russie conquérante.

Après un voyage en Chine, Vertinski retrouvera enfin son pays, devenu l’URSS, qui sort victorieux de sa guerre contre le nazisme. Il saura racheter ses années d’errance, mais surtout, par ses mémoires, saura montrer qu’on peut être émigré et patriote. Qu’au contraire, propager la culture russe au sein d’une diaspora active, c’est renforcer son pays. Vertinski, chanteur à l’âme légère, a trouvé la paix éternelle un an après la rédaction de son autobiographie.

 

A. Vertinski, Le nègre violet, Louison éditions, 24 €.

Une réponse à « “Le nègre violet” : les mémoires de Vertinski publiées par Louison »

  1. […] L’Ours Magazine dans sa recension postait deux chansons: le nègre lilas et tango magnolia. Il est temps de réparer l’injustice et montrer la chanson par une longue route. Il s’agit à la base d’une vieille romance Tsigane arrangée par Boris Fomin sur laquelle des vers de Konstantin Podrevsky. C’est entre 1917 et 1924 qu’elle fut créée puis enregistrée sur disque en 1926. […]

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