Installé sur la terrasse de la place des Beaux-Arts de Montpellier, Jean Sayad tient du bout des doigts sa pinte de bière. Il semble fatigué, mais affiche un sourire radieux. Les récents succès de son association, Amitiés russes, le comblent.
Quand il a pris la tête de l’association, en 2015, personne ne pensait qu’il parviendrait à réaliser son projet : le jumelage de Montpellier avec une ville russe. Le 5 octobre dernier, Obninsk fut pourtant cette cité russe qui se lia d’amitié avec la capitale héraultaise. Tout le mérite ne revient pas à Jean Sayad, qui explique l’origine de ce jumelage : “Tout d’abord, c’est en ouvrant les archives de l’association que j’ai découvert tous les efforts déployés par deux femmes pour rapprocher Montpellier et Obninsk. Ces deux femmes étaient Valentina Marianova, de Kalouga, et Nicole Nourigat, qui organisaient des échanges entre les lycées russes et français”. Le projet de jumelage fut mis entre parenthèse par le maire de l’époque, Georges Frêche.
Montpellier, première ville de France à organiser la Fête de la Victoire
Aujourd’hui, si la Russie marque autant Montpellier, c’est grâce à l’action d’Amitiés russes. Jean Sayad a été le premier à y organiser la Fête de la Victoire, un défilé traditionnel où les descendants de soldats morts au combat marchent fièrement avec le portrait de leurs aïeux. “On m’a dit que ce serait impossible, que ce serait politique, que les Français n’aimaient pas Poutine”, se souvient le pionnier. Le 9 mai 2016, Montpellier devient la première ville de France à le faire. “Je n’oublierai pas la façon dont les vétérans nous ont applaudis. Ils brandissaient des drapeaux russes et soviétiques, ils pleuraient. Ils savent comment la propagande américaine tente de faire oublier leur sacrifice”. Il y eut 150 participants, un exploit pour une première. En 2017, le chiffre avait doublé.
L’association Amitiés russes a été fondée en 1956, sous le nom France-URSS, qui existait à échelle nationale. “A l’époque, précise Jean Sayad, les communistes français admiraient l’URSS et souhaitaient la connaître par le biais d’échanges culturels. L’ambassade soviétique la soutenait”. A la chute de l’URSS, l’association nationale cesse d’exister et la cellule montpelliéraine devient alors “Amitiés russes et des autres peuples de l’ex-URSS”. “C’est un changement total, affirme l’actuel président. Nous avons accueilli des descendants de Russes blancs et prôné l’apolitisme”.
Un Franco-Russe consacré au rapprochement des deux pays
Jean Sayad découvre l’association et y emmène sa fille, pour qu’elle progresse en russe. Lui, fils d’un Caucasien et d’une Moscovite, né en France, est imprégné par la double culture. A travers son action, il espère rapprocher les deux pays. “Il existe une proximité civilisationnelle entre Français et Russes. Les interactions au cours de l’Histoire furent importantes. A la cour de Russie, tout le monde parlait français”. La relation franco-russe a, selon lui, perdu de sa vigueur lors du congrès de Tours, où elle est devenue emblématique, politique. Il s’agissait de savoir si on soutenait les communistes ou non.
Membre du Conseil de coordination des Russes de France, Jean Sayad a obtenu bien plus qu’un jumelage. Grâce à sa bonne entente avec le maire, Philippe Saurel, il a, au cours d’un voyage à Obninsk, obtenu du gouverneur de la province une statue de Iouri Gagarine, installée en octobre près de la nouvelle gare SNCF de Montpellier.
Une statue a trois valeurs. Elle a une fonction de mémoire : les gens se rappelleront de l’homme et de son œuvre. Elle exprime un message : un homme qui a les bras ouverts, en signe d’amitié, installé sur un pont dans la partie la plus moderne de la ville. Enfin, c’est un clin d’œil à la Russie ; rappeler aux gens que la Russie existe.
Jean Sayad, président d’Amitiés russes
La pinte à présent achevée, Jean Sayad prend son inspiration et regarde autour de lui. Fini de parler des succès passés ! Il évoque maintenant le romantisme de la Russie, où les hommes “ont toujours un bouquet de fleurs sous le bras” et où les gens “ne se bousculent pas dans le métro“. Il plonge dans ses lectures de Tolstoï et des grands poètes russes qui, on le sent, ont gagné son cœur.
Paul LEBOULANGER