Héritier d’Alexandre Scriabine, le jeune Julian Scriabine était prédestiné à la gloire en raison de ses dons incroyables. Sa mort brutale en 1919, à seulement 11 ans, a choqué ses professeurs.
LE RETRO RUSSE. Julian Scriabine avait tout pour réussir. Un don avéré pour le piano, un défunt père admiré par tous les musiciens de Russie, et des résultats scolaires très prometteurs. Le garçon avait même montré une aptitude pour la composition, écrivant quatre préludes pour piano. En 1918, il emménage avec sa mère et ses deux sœurs à Irpin, dans la banlieue de Kiev.
Là-bas, il suit les cours de Reinhold Glière au Conservatoire et se montre particulièrement doué. Le musicologue Arnold Alschwang, qui donnait alors des cours à Kiev, se souvient de ce jeune homme surdoué : « Julian, onze ans, était tel Euphorion de Goethe ; chacun de ses mouvements, chaque reflet de sa personnalité respirait un talent puissant, bien qu’inconscient ». Ce talent se concrétise par un diplôme, qu’il recevra avec les honneurs en 1919.
Une jalousie grandissante au Conservatoire
Mais cet engouement autour de Julian n’est pas partagé par tout le monde. Si Glière voit en lui une résurrection d’Alexandre Scriabine, les autres camarades, eux, commencent à développer une forte jalousie. Il est « le fils de », et a seulement onze ans on le félicite davantage que les élèves plus anciens. L’un de ses camarades, Vernon Duke, confiera plus tard : « J’étais un peu envieux de Julian car il était devenu le prodige et prenait une position dominante. Sa musique était plutôt abstruse, mais après tout, c’était Scriabine ».
En classe, il se fait chahuter par ses camarades qui se moquent de son âge. Julian Scriabine se montre très colérique et fait tout pour prouver que son talent est réel. En juin 1919, donc, il reçoit son diplôme alors que sa mère est à Moscou pour des affaires. L’école organise le 22 juin une sortie pour pique-niquer sur l’un des îlots du Dniepr.
Le corps de Julian Scriabine retrouvé noyé
Plusieurs versions de cet événement ont été données par la suite. Lors de ce pique-nique, Julian se serait éloigné du groupe car il était gêné de se trouver en maillot de bain devant ses camarades. Quoiqu’il en soit, l’enfant est porté disparu, et tous les élèves se mettent à sa recherche. La nuit tombe, et les espoirs s’amincissent. Finalement, le corps de Julian est retrouvé noyé.
Nicolas Slonimsky décrira la scène affreuse à laquelle il assiste : « Le pêcheur a attaché une corde au cou du garçon et l’a tiré à terre, le corps ressemblait à un long poisson maigre ». La thèse est donc la noyade par accident. Plusieurs versions vont abonder dans ce sens, mais en l’absence d’autopsie et d’enquête, difficile à dire.
Pour Reinhold Glière, son professeur, tout est envisageable. L’un des élèves, Boris Liatochinski, a lui aussi émis de gros doutes : « Après, il était complètement sans défense et certains étudiants ne lui ont pas caché leur sentiment d’envie ». La mère du génie précoce, déjà veuve, est bouleversée quand elle apprend la nouvelle. Elle mourra de chagrin trois ans plus tard.