Guillaume Rat est un chanteur et un poète français passionné par la Russie. Lors de ses nombreux voyages, il s’inspire des cultures slaves et porte la mémoire de l’amitié franco-russe, comme lorsqu’il a chanté au Kremlin pour l’escadron de chasse Normandie-Niemen. Autodéfini poète sensualiste, il déploie son art au service de ses idées.
Englobé dans l’ambiance remuante des cafés parisiens, je découvre un poète et ténor français du nom de Guillaume Rat. Installé sur une banquette ocre, il fait allusion à l’artiste français ayant donné son patronyme au bistrot. « Victor Hugo se battait contre toutes les injustices, j’en suis un grand admirateur. Il s’engageait dans ses combats politiques. Plus il vieillissait, plus il comprenait ». Guillaume Rat est pétri d’une convergence des cultures française, russe et africaine.
Ayant vécu les sept premières années de sa vie à Dakar, au Sénégal, il rejoint la France. Là, il apprend successivement le basket, le théâtre et le chant. Sa grand-mère, professeure de français, l’initie aux plus grands auteurs : Pouchkine, Baudelaire, Verlaine… « A douze ans, j’ai écrit mon premier poème, se souvient-il. Il s’appelait La Rose ». Pouchkine ne va plus le lâcher, tout comme les écrivains russes. Sous le visage du médecin Astrov, personnage d’Oncle Vania, il ressent la chaleur qu’il a connue en Afrique.
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Le sang de Pouchkine et la faim de Grebenka
Guillaume Rat aime à penser que l’art russe donne la chance à chacun de réussir. Au détour d’une réponse, il compare les destins de Pouchkine et Yehven Grebenka. Le premier, au sang métisse hérité de son arrière-grand-père Hannibal, a su par son apport culturel, inspiré des artistes français, révolutionner la Russie. Le second, un Ukrainien sans le sou, s’est émancipé par son art. « Les enfants ne partent pas égaux mais ont les mêmes capacités ».
L’idée est telle : l’art libère et rassemble les peuples. Par exemple, ceux de France et de Russie. « L’amitié franco-russe passe par un dialogue culturel. On a tout intérêt à organiser un maximum d’événements culturels à l’étranger », estime le ténor français.
Pour la mémoire du Normandie-Niémen
Le 7 mai dernier, le Kremlin lui réserve un loge. Il est invité à chanter pour la mémoire du Normandie-Niémen, l’escadron de chasse que l’URSS a incorporé à son armée aérienne, après un accord entre les généraux français et russes. Pour ce moment inoubliable, où il fait danser sa voix devant les dignitaires russes, Guillaume Rat est aux côtés de Dmitri Diouzhev, célébrité locale.
Pour regarder la vidéo de sa performance avec Dmitri Diouzhev, cliquez sur ce lien.
« Je suis allé chanter en Russie et j’en suis fier. Les Russes, comme les colonies, ont combattu le nazisme. A force de voyages, je connais ce pays. Depuis 2011, j’y vais souvent. J’ai chanté pour la fondation Mikhalkov, la bibliothèque Pouchkine, la bibliothèque Tourguéniev, et dans des soirées privées. » Il a également marché au premier rang du défilé des Immortels. Et à force de rencontrer les habitants de ce pays, il peut témoigner de l’attachement franco-russe qui persiste : « Les Russes ont un grand amour de la France, à travers cette relation particulière que les deux pays ont eu au cours de l’Histoire ».
En l’écoutant, je me rends compte de la force qu’un spectacle de chant peut avoir pour construire des ponts entre les deux pays. Guillaume Rat ne me contredit pas : « En tant que ténor, je veux avant tout respecter mon pays et l’enseignement de mes maîtres, et accroître l’amitié franco-russe ».
Une amitié culturelle qui reste à parachever
Le destin de la Russie n’inquiète guère le poète de Dakar, qui le voit lumineux : « J’ai confiance en l’avenir. La classe moyenne russe s’enrichit et le pays se réindustrialise. La Russie est sur la voie du changement, elle a une richesse humaine et une jeunesse remplie de volonté émancipatrice. » Bien que son enthousiasme soit sincère, il est obligé de reconnaître le pragmatisme de certains : « Les groupes industriels ont tout intérêt à forger une amitié franco-russe ». Il cible les sites pro-russes qui fleurissent sur Internet, comme Sputnik ou RT.
Son regret est l’absence d’une réelle volonté de la part des Français, qu’il qualifie d’isolationnisme intellectuel. On peut, en effet, citer aisément les noms des acteurs américains, mais pas un seul russe. « Et pourtant, ils ont aussi des blockbusters ! », conclut-il à la façon de Galilée. Pour combler ce déficit, il s’est engagé comme vecteur culturel. Il écoute les poèmes russes, on les lui traduit, et il les écrit en langue française. « Je respecte la prosodie et garde l’esprit poétique. »
Une vision politique poétique
Ses voyages multiples, au Kazakhstan et au Tatarstan notamment, sont sa source d’inspiration. Là aussi s’est développé son amour pour la Russie : « Ce pays est admirable car il a su rassembler de très nombreuses ethnies tout en respectant leurs particularismes ». Je n’ai pas voulu jouer au journaliste provocateur en lui glissant un mot sur la Tchétchénie – qui aurait été bienvenu – mais j’essaie de comprendre sa pensée. Après quelques questions, j’en conclue qu’il maîtrise parfaitement l’Histoire russe.
Après m’avoir rappelé les relations mutuellement enrichissantes entre Français et Russes, comme le mariage d’Anne de Kiev et d’Henri I (en 1051), ou la formation de Lénine aux idées révolutionnaires françaises, il en revient à l’art.
« La relation franco-russe a toujours été importante dans l’art : Gabriel Erguine expose à Paris. D’ailleurs, toutes les grandes rencontres se sont faites à Paris, c’était le cas de Dostoievski. »
Un puits à projets culturels
Guillaume Rat ne manque pas d’occupations. Outre son association JOM qui lutte pour un accès à la dignité par la culture et le sport, il tisse des liens avec le théâtre Lucho da Silva Leira, avec des écoles pour immortaliser le Normandie-Niémen, et avec des associations franco-russes.
Il publie un premier recueil de dix textes poétiques prochainement, L’ange bleu. Se définissant comme un poète sensualiste, il estime que chacun possède des capacités poétiques à développer. En sortant du café, je suis convaincu que les mots que l’on a échangés pendant cette rencontre ne resteront pas vains. Lui a traduit cette idée par un vers : « Car le mot, qu’on le sache, est un être vivant ». Une graine qui fait son chemin.