Lui-même orphelin, adopté par une famille française, Pavel Closson aide les jeunes adoptés de Russie dans sa situation à retrouver leurs origines. « Comme les médecins, en cherchant, on finit toujours par trouver quelque chose », aime-t-il répéter. Mais parfois, la vérité est difficile à entendre.
Après un bref contact à Paris, Pavel a accepté cet entretien, qui s’est réalisé par visioconférence depuis la Russie, où il s’est établi pour mener ses investigations. Ce jeune homme a, maintenus sur le visage, les traits de l’enthousiasme propres aux natures ardentes, propres à ceux qui sont mués par une idée entêtante. La sienne, d’idée, a longtemps été de retrouver la trace de ses origines.
Quand ce défi personnel a été mené à bien, il a pu proposer son aide aux autres enfants russes vivant en France. Désormais, il informe, soutient, aiguillonne, il se rend dans les bâtiments administratifs, échange des courriels, interroge des témoins, il mène un véritable travail d’enquêteur pour dépoussiérer l’histoire familiale des personnes adoptées. Un travail titanesque. Selon son estimation, 60 000 enfants ont été adoptés en Russie entre 2003 et 2021. Au début, la majorité des adoptants étaient Américains, mais les Européens ont suivi.
Des enfants adoptés à Nijni-Novgorod et Volgograd
Pavel n’a jamais connu ses parents biologiques. Ses premières années, il les passe dans un orphelinat de Nijni-Novgorod (5e ville du pays en nombre d’habitants, à 400 km de Moscou). En 2004, à cinq ans et demi, il est adopté par un couple de Français. Sa mère adoptive est professeure de lettres à l’université. Elle est passionnée par la culture russe. « Elle a tout fait pour que je maintienne des liens et un attachement à mon pays d’origine », explique Pavel. Cela commence par le lien linguistique : il est élevé par une nounou, une babouchka dit-il, qui parle russe. A partir de 2010, il suit des cours de russe au collège Jules-Ferry (Paris 9e), où il est le meilleur. Cela le travaille.
Un événement va finir de le convaincre de renouer avec ses gènes russes : un voyage effectué en 2015 avec sa mère et sa sœur Katia* [nous avons modifié son prénom], elle aussi adoptée quelques années auparavant, dans un orphelinat de Volgograd. Lors de ce périple, grâce à une femme qui avait servi d’intermédiaire lors de l’adoption de Katia, ils parviennent à retrouver le village d’origine des parents de sa sœur. Sur place, ils questionnent des vieilles dames qui ont connu les parents de Katia. Tout un monde passé rejaillit et permet à sa sœur de comprendre son identité, ses racines et de découvrir qu’elle a une sœur aînée adoptée aux États-Unis.
Souvenirs enfantins d’un orphelinat
Pavel est percuté. « Là, je me dis : et pourquoi pas moi ? J’ai ouvert tous mes dossiers d’adoption. Dans le miroir, je me regardais et me demandais à quoi ressemblaient mes parents. » Ce choc survient à l’âge où l’on se pose des questions centrales sur sa personnalité. Il trifouille nerveusement dans ses souvenirs. Il se rappelle, tout petit, dans l’orphelinat, en hiver ; puis des promenades dans la forêt ; d’un bonhomme de neige… Et puis l’été, près d’une datcha, où il a réveillé un nid de guêpes avec une branche, inconsciemment… Un jour, le voilà mangeant des fourmis, qui ont un goût sucré. Et puis, encore, il y a cette odeur de pétrole à l’extérieur, ou l’odeur si familière du métro russe. Il se souvient de ses camarades de l’orphelinat, Romka et Anjelka. Tout remonte. Tout revient, flou. « Il y a aussi des souvenirs plus mauvais », dit-il sans épiloguer sur le sujet.
Pavel grandit et voyage. Il voyage de nombreuses fois en Russie, entre 2016 et 2019, pour le tourisme ou une expérience professionnelle. Sa connaissance de la langue russe ne cesse de croître. Après une licence en géographie obtenue à Panthéon-Sorbonne, il suit un master « tourisme » sur le monde russe à l’université d’Angers. En 2021, fraîchement diplômé, il est armé pour son projet : la quête de ses origines. Et là, tout va très vite… ou presque.
Une enquête incroyable jusque dans les bas-fonds de la société russe
Il débute son aventure en Sibérie, où il effectue une mobilité étudiante de cinq mois à l’université d’État d’Omsk Fiodor Dostoïevski, en lien avec ses études de tourisme. Il rencontre et se lie d’amitié avec Konstantin, un directeur d’école en ligne, qui visite régulièrement les orphelinats d’Omsk, soucieux de donner une chance de réussite aux enfants. Grâce à l’aide de bénévoles, ils animent ensemble toutes sortes d’activités : fabriquer du savon, faire des jeux de société, organiser des concerts avec un saxophoniste latinoaméricain, etc. Après sa mobilité, ses questions sur son identité recommencent à le hanter : pourquoi sa mère est-elle morte jeune ? Ses grands-parents sont-ils encore en vie ? Pourquoi a-t-il été laissé dans un orphelinat? Il lui faut donc partir à la pêche aux informations. Au total, il envoie une centaine de requêtes à différents organismes publics et privés. Il manque plusieurs fois de baisser les bras.
« Pour avancer, il faut confirmer ou infirmer toute une série d’hypothèses. Comme les médecins, en cherchant, on finit toujours par trouver. L’administration russe est mieux cadrée qu’en France. On est assuré d’avoir une réponse sous trente jours ; c’est la loi. » Pavel sait comment s’y prendre, mais il va rencontrer de nombreux obstacles. Il toque à toutes les portes : banques, hôpitaux, maternités, ministères, fonds de pension, tribunaux, archives, police, écoles, bureau d’état-civil, cimetières… Et bien entendu, orphelinat. Les informations sont distillées au compte-gouttes. Souvent elles se contredisent. Pour les obtenir, il faut parfois se montrer rusé, persuasif, culotté, persévérant.
Pavel va sur le terrain, là où auraient vécu ses parents. Il retrouve des photographies des membres de sa famille, il interroge un oncle toujours vivant, il erre dans les bas-fonds de la société, où il n’y a ni eau, ni électricité, mais où pullulent drogue, alcool, odeurs nauséabondes : une épreuve qui lui permet notamment d’obtenir l’adresse de son père biologique, encore vivant.« En général, l’histoire des enfants adoptés n’est pas facile à entendre. D’un autre côté, les témoins que je questionnais ne voulaient pas me répondre, cherchaient à me dissuader, affirmaient qu’il n’est pas toujours bon de découvrir la vérité. C’est un travail laborieux de faire comprendre à quel point ces recherches sont importantes pour moi. » Les Russes ont un proverbe pour cela, que l’on pourrait traduire par : les vrais parents sont ceux qui t’ont éduqué, pas ceux qui t’ont mis au monde. Voilà ce qu’on lui rétorque.
L’enquêteur ne se décourage pas : réseaux sociaux, témoignages, paperasse… Il écume ce qu’il peut et finit par obtenir des résultats, petit à petit, et une histoire de sa famille. Les réponses qu’il a obtenues pendant ces douze mois de recherches constituent son bien, son jardin personnel, une source de bien-être, et je n’ai nulle envie de les lui faire étaler sous nos yeux au motif d’une curiosité déplacée.
« Racines Russes » veut accompagner les jeunes adoptés
Pavel Closson est aujourd’hui établi à Nijni-Novgorod, sa ville natale, et il souhaite aider les enfants français adoptés en Russie à retrouver leurs origines. S’ils le veulent, s’entend. « Tout enfant qui naît a le droit de savoir qui l’a mis au monde, défend Pavel. J’ai quitté provisoirement le tourisme pour créer une association qui aidera les personnes dans le même cas que moi. » Son initiative a été très bien reçue : le détective a déjà reçu une quarantaine de demandes depuis la fin du mois d’avril 2023. Au-delà de la simple recherche d’informations, il aimerait leur proposer un suivi psychologique. « C’est très fort au niveau émotionnel », commente-t-il.
L’association, baptisée Racines Russes, veut également briser les réticences conjoncturelles. Depuis le début de la guerre en Ukraine, « les enfants russes adoptés ont tendance à cacher leur identité en raison du conflit, voire à renier cette identité ». Pavel le constate : « Certains parents ont peur à cause du contexte, surtout les mères, et je les comprends. Ils attendent que ce soit plus calme. Pourtant, la stabilité administrative actuelle est favorable. Il ne faut pas attendre trop longtemps, car les témoins disparaissent, les documents se perdent et la plupart des archives sont détruites au bout de vingt-cinq ans si elles ne sont pas mangées par les souris avant. »
Pour le moment, son activité est financée par des dons, des cagnottes de collègues et d’amis qui servent directement aux démarches administratives engagées et à l’aide aux orphelinats . L’avantage de passer par l’association est son implantation et son expérience. Pourquoi ? « Parce que les réseaux sociaux peuvent ne pas suffire, explique Pavel. Certains adoptés ne connaissent pas le russe et ne sont jamais allés en Russie. C’est pourtant indispensable pour les recherches ».
A travers le projet Racines Russes, Pavel vise à rendre les jeunes adoptés plus forts, apaisés, peut-être, comme lui : « Je suis plus mûr. Cela m’a aidé à construire mon identité, ma personnalité, ça m’a donné confiance, ça m’a renforcé. »