Enfance et bolchévisme
Ilya Ehrenbourg est né à Kiev, dans l’Empire russe, le 27 janvier 1891. Il grandit au sein d’une famille juive lituanienne, qui ne prête pas plus d’attention que cela à la religion. C’est pour cela qu’Ilya Ehrenbourg ne se considérera jamais juif, mais Russe ou Soviétique. Seul son grand-père maternel lui parlait de religion.
Son père était ingénieur, avant d’être nommé directeur d’une brasserie moscovite. Alors qu’il n’a que quatre ans, Ilya Ehrenbourg suit sa famille à Moscou. A l’école, il se lie d’amitié avec Nikolaï Boukharine, qui a deux ans de plus que lui. Cette grande amitié ne s’éteindra qu’avec la mort de Boukharine lors des grandes purges des années 1930. Après la révolution de 1905, Ilya Ehrenbourg et Nikolaï Boukharine mènent des activités clandestines au sein d’organisations bolchéviques dont le Parti ouvrier social-démocrate.
A seulement 17 ans, en 1908, il est arrêté par la police politique de l’Empire, nommée Okhrana, est détenu pendant près de cinq mois. Lors de cette période, il est battu et maltraité. Lorsqu’il est libéré, on l’autorise à l’exil : il choisit la capitale de la France, Paris. Cette ville l’émerveille d’un seul coup d’œil. Il se met à lire avec avidité, et même à écrire quelques poèmes.
Ilya Ehrenbourg poète et traducteur à Paris
Dans un premier temps, il prend contact avec les organisations bolchéviques de Paris. Il rencontre notamment Vladimir Lénine et d’autres illustres exilés communistes. Peu à peu, il s’en éloigne et se met à fréquenter les artistes du quartier de Montparnasse. Il mène alors une vie de bohème et rencontre de nombreux peintres dans les cafés parnassiens : Amedeo Modigliani, Pablo Picasso, Diego Rivera, ou encore le Bulgare Jules Pascin.
C’est aussi à Paris qu’il rencontre sa future épouse, Katia Schmidt, qui lui donnera une fille en 1911. Cette Katia est une étudiante en médecine et aura une bonne influence sur le jeune Ilya. Comme il étudie de long en large la poésie, Ilya Ehrenbourg traduit les poèmes de François Villon avant de les publier dans les cercles russophones, qui en sont friands. Il traduit également de nombreux textes du poète français Francis Jammes.
Alors que la Première Guerre mondiale débute, Ilya Ehrenbourg est engagé comme correspondant de guerre par une revue russe de Saint-Pétersbourg. Il décrit alors l’horreur de la guerre mécanisée et inhumaine dans des articles qui frappent les consciences. Il en tirera un livre, “Le visage de la guerre“. Ses poèmes, eux, deviennent noirs, sombres, et traitent de guerre et de destruction. Cela lui vaut l’éloge d’un critique littéraire russe, Nikolaï Gumilev.
Je suis devenu journaliste par hasard, uniquement parce que j’étais en colère.
Ilya Ehrenbourg
Combat contre la violence
En 1917, alors que la Révolution a éclaté en Russie, il décide de retourner dans son pays. Là-bas, il est choqué par l’atmosphère de tension qui prédomine. Il s’indigne notamment contre la violence dont usent les révolutionnaires. Son poème “Prière pour la Russie” compare l’assaut contre le Palais d’Hiver à un viol.
Ces années ne seront pas de tout repos pour Ilya Ehrenbourg. Il décide de retourner aux sources, à Kiev. Mais là-bas, les pogroms menés sous les Allemands, les Cosaques, les Bolchéviques ou l’armée blanche le désolent. Il décident de rejoindre son ami poète et traducteur Maximilian Volochine, qui possède une maison à Koktebel, dans le sud de la Crimée. Les deux hommes sont de grands amis depuis les années parisiennes.
A la fin de son périple, Ilya Ehrenbourg est arrêté à Moscou par la Tchéka, la police politique soviétique, et relâché assez rapidement. Dans les années 1920, il continue son activité de poète et de journaliste. Il voyage beaucoup en Europe, où il écrit des romans picaresques comme Les aventures extraordinaires de Julio Jurenito et de ses disciples (1922). Ilya Ehrenbourg possède beaucoup d’amis de la gauche européenne, et c’est à ce titre que Joseph Staline l’autorise à voyager, afin de travailler à l’union des socialistes et à la paix continentale.
Propagande et haine des nazis
Journaliste dans les années sombres
Entre 1936 et 1939, il devient journaliste reporter lors de la Guerre civile espagnole. Cela ne l’empêche pas de prendre directement part à cette guerre, aux côtés des républicains.
Je n’ai jamais éprouvé la peur, ni sur le front, ni en Espagne, ni dans les bombardements, mais seulement en temps de paix quand j’entendais un coup de sonnette.
Ilya Ehrebourg
Membre du Comité antifasciste juif, il apprend avec effroi le début de la Seconde Guerre mondiale. Il ne se contente pas de son rôle de journaliste, mais travaille aussi à la propagande soviétique. Tout comme Constantin Simonov et Alexeï Surkov, il participe à la campagne anti-nazie. En 1942, il accompagne le journaliste américain Leland Stowe sur le champ. Leland Stowe écrira d’ailleurs un livre sur ses échanges avec Ehrenbourg “The Shall not sleep“.
Ilya Ehrenbourg : “Tue l’Allemand”
L’article “Tue” de Ilya Ehrenbourg a profondément marqué les esprits en Russie, alors que les troupes allemandes progressent dans le pays. Cet article l’inscrit dans la liste des propagandistes parfois inhumains, en ce sens qu’il déshumanise les Allemands. “Si tu n’as pas tué un Allemand par jour, ta journée est perdue (…) Tue l’Allemand ! C’est ce que demande ta vieille mère. L’enfant t’implore : tue l’Allemand ! Tue l’Allemand ! C’est ce que réclame ta terre natale.” Autant dire qu’à travers le prisme actuel, ces mots martiaux sonnent terriblement, mais l’époque était sans concession, terrible elle aussi.
C’est autant d’obus contre l’envahisseur nazi.
Un commandant soviétique à propos des articles d’Ehrenbourg.
En avril 1945, à la fin de la guerre, le vice-président du comité central du Parti communiste, Gueorgui Alexandrov critiquera Ehrenbourg pour “Tue” dans le journal Pravda. Ehrenbourg comprend que c’est le début de sa disgrâce et d’un changement de politique de l’URSS par rapport à l’Allemagne.
Des années sombres au Dégel
Après la guerre, il part sur les traces de l’Armée rouge et recueille avec Vassili Grossman les témoignages des rescapés de massacres commis par les Allemands. Ce grand travail servira lors des procès de Nuremberg en 1945 et 1946. Ces témoignages, selon la décision du Comité antifasciste juif, sont intégrés au Livre noir, ce grand ouvrage qui recense les crimes nazis. Mais avec la dissolution du Comité et les mesures antisémites de Staline, le Livre noir cesse en 1948. Ce livre ne sera publié que dans les années 1990, quand les épreuves corrigées par Vassili Grossman ont été retrouvées.
En 1953, on lui demande de témoigner en faveur du régime dans l’affaire du complot des blouses blanches – une prétendue conspiration des médecins contre le pouvoir. Il refuse. Dès la mort de Staline, Lavrenti Béria, chef de la police secrète, reconnaîtra qu’il ne s’agissait que d’une machination.
Le roman qui fera sa gloire, Erhenbourg le publie en 1954 : le Dégel. Il y décrit un patron d’usine despotique, une sorte de réplique de Staline. C’est le premier roman de l’après-Staline, de la période de relative ouverture du régime. Ehrenbourg y teste les limites de la censure. Il présente des personnages, des artistes, qui discutent librement de l’échec des politiques staliniennes.
On l’accuse de jouer double jeu, de se présenter comme libre en Occident et asservi en URSS. En interne, il est violemment attaqué par Constantin Simonov dans le journal Literaturnaya gazeta, qui trouve que Le Dégel est un roman trop sombre et qui dessert l’État soviétique. En 1952, comme un pied de nez, il reçoit le Prix Staline pour la paix. Il travaille à ses Mémoires, baptisées Les années et les hommes, où il décrit positivement des auteurs bannis, comme Marina Tsvetaeva, et en critique d’autres comme Boris Pasternak auquel il reproche de ne pas avoir compris le sens de l’histoire.
Ses mémoires sont vivement critiquées par les principaux garants du soviétisme pur, comme Vsevolod Kochetov et les journalistes du brûlot réactionnaire Oktyabr.
Il enfouit ses souvenirs déjantés dans un tas de déchets.
Vsevolod Kochetov
Ilya Ehrenbourg meurt le 31 août 1967 d’un cancer de la vessie.
Œuvres d’Ilya Ehrenbourg
- Les aventures extraordinaires de Julio Jurenito et de ses disciples (1922)
- L’amour de Jeanne Ney (1926)
- La vie de Gracchus Babeuf (1929)
- La ruelle de Moscou (1930)
- Dix chevaux-vapeur (1930)
- Europe, société anonyme (1931)
- Le deuxième jour de la création (1933)
- Hors du chaos (1934)
- No pasaran – Scènes de la guerre civile en Espagne (1937)
- La chute de Paris (1943)
- Retour aux Etats-Unis (1947)
- La tempête (1948)
- Le neuvième flot (1953)
- Le Dégel (1954)
- Les années et les hommes (1962)
- Lazik le tumultueux (1981)
- Le Livre noir (1995) avec Vassili Grossman