Il est l’un des premiers compositeurs russes avec Mikhail Glinka et le Groupe des Cinq. Loin de l’image d’ivrogne sans talent qui l’a longtemps suivi, Modeste Moussorgski était un génie musical.
Origine de la famille et du nom de Modeste Moussorgski
La famille de Modeste Moussorgski provient de la lignée du célèbre Rurik, le premier des souverains russes du 9e siècle. Un très lointain ancêtre de Moussorgski, Roman Vassilievitch Monastyriov, était un boyard de la couronne que les gens surnommaient Moussorga. Les graphies du nom Moussorgski ont longtemps changé au cours de l’histoire familiale, et il semble que Modeste ait été baptisé sous la forme Muserskiy.
Dans ses lettres échangées avec Mili Balakirev, le compositeur signe Musorskiy, la lettre « g » n’apparaissant qu’en 1863. Il semble que ce soit le frère de Modeste, Filaret, qui ait introduit cette lettre dans leur patronyme, estimant que « musor » rappelait trop un vieux mot russe très péjoratif (déchêt). Modeste Moussorgski, lui, s’amusait de cette ressemblance, comme lorsqu’il écrivit une lettre à Vladimir Stassov, signant « musoryanin », celui qui vit dans les déchets. Le prénom Modeste vient quant à lui du latin et signifie davantage « maître de soi » que « humble ».
Un pianiste précoce
Modeste Moussorgski nait le 21 mars 1839 à Karevo au sein de cette famille noble. Sa mère joue du piano et lui donne des leçons dès qu’il fête ses six ans. Le petit garçon se montre doué et quand la famille reçoit des amis et des proches, Modeste joue des airs de Franz Liszt ou encore un concerto de l’Irlandais John Field, qui l’inspire beaucoup.
Quand il a dix ans, son frère Filaret et lui sont envoyés à Saint-Pétersbourg pour suivre des cours d’allemand dans la très élitiste Petrischule. Là-bas, Modeste Moussorgski suit des cours de piano avec Anton Gerke. Il a à peine douze ans lorsqu’il publie sa première composition, qu’il nomme Porte-enseigne polka.
Militaire à l’école des Cadet
Les parents Moussorgski débarquent à Saint-Pétersbourg dans le but de faire entrer leurs fils dans la voie militaire, afin de respecter la tradition familiale. Modeste est donc envoyé à l’école des Cadets de la Garde. Il a alors treize ans. L’école est réputée pour être un endroit dur, surtout pour les nouvelles recrues, et tout le monde craint le directeur, un certain général Sutgov.
C’est dans cette école des Cadets que Modeste Moussorgski a pris goût à l’alcool. L’un de ses camarades d’alors, Nikolaï Kompanéiski, prétendait que le général Sutgov était « fier lorsqu’un de ses élèves revenait de congé totalement ivre, à force de boire du champagne ».
Rencontre avec Alexandre Borodine
Cependant, Modeste Moussorgski se plait dans cette école car il peut poursuivre sa vocation musicale. En effet, le fils de Sutgov prend des cours avec Anton Gerke et le général autorise Moussorgski à suivre les leçons. Ses petits camarades sont très demandeurs : Modeste se met à jouer des airs improvisés et des danses dès qu’il le peut.
Modeste Moussorgski développe un intérêt prononcé pour l’histoire et la philosophie allemande. Très studieux, il obtient son diplôme et entre dans le prestigieux régiment Préobrajenski, rattaché à la Garde impériale russe. Alors qu’il travaille à l’hôpital militaire de Saint-Pétersbourg, il rencontre Alexandre Borodine, de cinq ans son aîné. Les deux hommes sont tout de suite sur la même longueur d’onde.
Il avait des manières élégantes et aristocratiques ; ses paroles également, délivrées à travers ses dents quelque peu serrées, ponctuées d’expressions françaises plutôt précieuses. (…) Les dames faisaient des potins sur lui. Il s’asseyait au piano et, jouant avec grâce et délicatesse des extraits de Trovatore, traviata, il suscitait des éclats de voix autour de lui : « Charmant ! Délicieux ! »
Alexandre Borodine
Le soutien de Dargomijski et l’influence de Balakirev
Le moment le plus important pour Modeste Moussorgski fut, ce même hiver 1856, sa recontre avec Alexandre Dargomijski, connu alors pour être le plus grand compositeur aux côtés de Mikhail Glinka. Dargomijski est totalement bluffé par le talent de Moussorgski au piano, si bien qu’il l’invite à toutes ses soirées pour jouer devant l’assemblée.
Les soirées chez Dargomijski vont devenir un lieu de rencontres pour Modeste Moussorgski, qui croise notamment César Cui et Mili Balakirev. Ce dernier a un rôle majeur dans la formation de Modeste Moussorgski pour devenir un compositeur à part entière. Jusque-là, il ne connaissait que le piano ; Balakirev lui ouvre les portes des nouvelles musiques bien plus radicales.
La naissance du Groupe des Cinq avec Moussorgski
Se forme alors le « Groupe des Cinq », rassemblé autour de Mili Balakirev : Alexandre Borodine, César Cui, Nikolaï Rimski-Korsakov et Modeste Moussorgski. La grande idée de ce groupe est de créer une musique nationale russe affranchie des standards d’Europe de l’Ouest. Pour cela, ils s’inspirent de Mikhail Glinka, des musiques traditionnelles, parfois orientales.
César Cui rédige le manifeste. Rimski-Korsakov, le plus jeune, deviendra professeur au Conservatoire de Saint-Pétersbourg et enseignera cette musique aux futurs génies : Prokofiev, Glazounov et Stravinski. Quand Moussorgski se libérera de ce groupe, c’est justement parce qu’il trouve qu’on ne peut pas simplement greffer le folklore sur une rythmique occidentale.
La ruine et Salammbô
Modeste Moussorgski abandonne alors sa vocation militaire et le régiment Préobrajenski. Il est en pleine crise existentielle et le relate à son professeur Mili Balakirev dans ses lettres : il se noie dans « le mysticisme et des pensées cyniques à propos de Dieu ». Entre ses vingt et vingt-deux ans, il connait de nombreuses difficultés qui le conduisent à retourner à Karevo. L’émancipation des serfs a ruiné sa famille.
A ce moment, Modeste Moussorgski se détache de l’influence de Balakirev. Il commence notamment un opéra inspiré de Salammbô de Gustave Flaubert. Il élargit son champ d’influence et discute notamment autour des thèses du provocateur Nikolaï Tchernychevski. Il se rapproche du réalisme artistique, qui veut éviter les répétitions et dépeindre la vie telle qu’elle est vécue, avec son lot d’incertitudes et de revirements.
C’est le peuple russe que je veux peindre. Quand je dors, je le vois dans mes rêves, quand je mange, c’est à lui que je pense, quand je bois, c’est lui qui m’apparait dans toute sa réalité, grand, énorme, majestueux, magnifique, sans fard et sans clinquant.
Modeste Moussorgski
Alcoolisme, pauvreté et réalisme artistique
En 1865, la mort de sa mère pousse Modeste Moussorgski dans les bras de Bacchus. Mais son alcoolisme ne l’empêche pas de produire ses plus grandes œuvres réalistes, Hopak ou encore La nuit sur le mont Chauve. Ce poème symphonique est critiqué durement par Mili Balakirev qui refuse de le diriger. Les Enfantines, dont l’âme doit rappeler celle d’un enfant, a inspiré par la suite Debussy.
Ruiné, il travaille depuis 1861 en tant que fonctionnaire subalterne et vit en colocation avec des étudiants, des artistes ou encore ses camarades du Groupe des Cinq. Il ne connait pas beaucoup de femmes, ou sinon âgées, comme la sœur de Mikhail Glinka. Sa proximité avec Arseni Golenichtchev-Koutouzov lui vaudront des suspicions d’homosexualité.
Viktor Hartmann et les Tableaux d’une exposition
Tout semble se désagréger autour de Modeste Moussorgski, dont l’alcoolisme devient notoire. Il s’irrite de ses anciens amis, insultant Rismki-Korsakov de « traître » et pleurant la mort de son ami Viktor Hartmann, un peintre mort d’anévrisme à 39 ans.
Malgré sa situation très précaire, Modeste Moussorgski continue de composer : Boris Godounov, dont le personnage principal est le peuple, La Khovanchtchina et les Tableaux d’une exposition, en hommage à Viktor Hartmann. Le public retient surtout sa capacité à créer du fantastique dans ses œuvres, même si tout le retravail de Nikolaï Rimski-Korsakov sur de nombreuses partitions aident à faire apprécier sa musique.
Je prévois un nouveau type de mélodie qui sera celui de la vie. (…) Un jour, tout à coup, le chant ineffable s’élèvera, intelligible pour tous. Si je réussis, je serai un conquérant en art.
Modeste Moussorgski
“Il ne reste plus que la mendicité”
Mais après ces dernières compositions, Modeste Moussorgski n’est plus capable de créer, ni de travailler, il boit et vit pauvrement. Il déclare à un de ses proches : « Il ne reste plus que la mendicité ». Quelques temps après, Ilya Répine peint son portrait : il ne ressemble plus du tout à l’homme qu’il avait été jadis. Il meurt à seulement 42 ans.