Qui était vraiment Vladimir Dahl ?

Plutôt que de vous présenter une biographie chronologique, L’Ours Magazine préfère évoquer Vladimir Dahl sous le prisme de grandes questions qui sont souvent corrélées à son nom. Une meilleure façon d’aborder ce célèbre écrivain russe.

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Le dictionnaire russe de Vladimir Dahl

Vladimir Dahl est surtout connu pour son Dictionnaire raisonné du russe vivant. Cet ouvrage en quatre tomes, écrit dans les années 1860, regroupe entre autres 30 000 expressions russes et dictons tombés en désuétude. Le dictionnaire de Dahl a beaucoup servi aux écrivains Vladimir Nabokov, Andrey Bely et Alexandre Soljenitsyne.

Les slavophiles ont apprécié ce dictionnaire car Vladimir Dahl, bien qu’amateur et détaché de la science linguistique, montrait un purisme sérieux quant à la langue russe. Voici ce que l’auteur explique de son rôle : “Une langue populaire vivante, un esprit qui a conservé sa fraîcheur vitale, qui donne à la langue l’harmonie, la force, la clarté, l’intégrité et la beauté, devrait servir de source et de trésor pour le développement d’un discours russe éduqué.”

Vladimir Dahl et Alexandre Pouchkine

En 1832, Vladimir Dahl fait la connaissance de Pouchkine grâce à l’intermédiaire de son ami Vassili Joukovski. Il décide de se présenter personnellement au grand écrivain en lui offrant son livre. Il évoque ainsi cette rencontre : “Je suis monté au troisième étage, le domestique a pris mon pardessus dans le couloir et est allé m’annoncer. Moi, inquiet, j’ai traversé les pièces vides et lugubres – il faisait noir. Prenant mon livre, Pouchkine l’ouvrit et le lut depuis le début jusqu’à la fin et en riant, me dit “très bien”.

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Pouchkine déclamant A un ami poète devant Gavrila Derjavine, par Répine.

Un an plus tard, les deux hommes se rendent sur les lieux de la révolte de Pougatchev et échangent de nombreuses idées. Pouchkine et Dahl se rapprochent et ce premier est ravi des écrits du deuxième, qui lui apprend notamment des expressions russes qu’il ignorait. En 1836, ils se retrouvent à Saint-Pétersbourg.

Vladimir Dahl sera surtout aux côtés de Pouchkine lorsque celui-ci est blessé mortellement dans un duel. Il l’accompagne jusqu’à la fin, lui prodiguant des soins médicaux et des mots réconfortants. Sur son lit de mort, Pouchkine demanda à Dahl s’il allait mourir. Le lexicographe lui répondit ainsi : “Nous espérons pour vous, vraiment, nous l’espérons, ne désespérez pas non plus”.

Un écrivain russe aux origines danoises

Le nom de Vladimir Dahl n’est pas russe mais scandinave. Son père, Johan von Dahl, est un médecin et théologien danois devenu citoyen russe en 1799. Excellent linguiste, il est remarqué par l’impératrice Catherine II qui en fait le bibliothécaire de la cour. Il a ensuite exercé en tant que médecin.

Vladimir Dahl a donc des origines danoises, mais son attachement à la Russie reste plus fort que tout. Il a notamment déclaré : “Quand j’ai navigué vers les côtes du Danemark, j’étais très intéressé par le fait que je verrai la patrie de mes ancêtres. En débarquant au Danemark, j’ai finalement été convaincu que ma patrie est la Russie, que je n’ai rien de commun avec la patrie de mes ancêtres.”

Julia Dahl, première épouse de Vladimir Dahl.

Vladimir Dahl était-il antisémite ?

L’idée répandue que Vladimir Dahl avait une haine viscérale des Juifs demeure forte aujourd’hui, si bien que sa notice Wikipédia y consacre un paragraphe. Toute cette idée est le fruit d’un rapport cosigné par Dahl lorsqu’il était fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, intitulé Investigation sur le meurtre de bébés chrétiens et pour l’utilisation de leur sang par les Juifs.

Il faut rappeler le contexte : l’administration impériale russe est à l’époque antisémite et les pogroms sont récurrents. Tout fonctionnaire participe de cet état des choses. Vladimir Dahl, avec sa vision slavophile et puriste de la Russie, est bien entendu dans la vague de son temps. Cependant, ce rapport a été écrit principalement par un de ses collègues (il est possible qu’il n’ait rien rédigé lui-même) et aucun des écrits de Dahl ne peut laisser supposer un antisémitisme latent.