La mathématicienne russe était aussi une écrivaine de talent. Dans le roman très sensible Une nihiliste, elle montre sa passion révolutionnaire.
Une enfance russe
Sophie Kovalevskaïa est née le 15 janvier 1850 à Moscou, dans une famille très cultivée. Son père, Vassili Korvine-Kroukovski, est lieutenant-général dans l’armée impériale russe. Il dirige l’artillerie de Moscou jusqu’à sa retraite dans le domaine familial à Palibino en 1858. Ce militaire est issu de la petite noblesse russo-polonaise, qui a peut-être un lien avec la famille royale Korvine de Hongrie.
La mère de Sophie Kovalevskaïa est Elisabeth Schubert, qui vient d’une famille d’immigrés allemands installés dans l’île Vassilievski à Saint-Pétersbourg. Le premier immigré de la famille est Friedrich Schubert, un astronome géographe allemand venu en Russie au 18e siècle. Le grand-père de Sophie est le général Theodor Friedrich von Schubert, topographe pour l’armée.
C’est au sein de cette famille que grandit Sophie Kovalevskaïa, habituée à croiser le grand écrivain Fédor Dostoïevski. Ce dernier a d’ailleurs demandé la main de sa sœur aînée, Anna Korvine-Kroukovskaïa (connue sous le nom d’Anna Jaclard).
Kovalevskaïa, le nouveau Pascal
Sophie Kovalevskaïa reçoit un enseignement très poussé dès son plus jeune âge. Elle apprend notamment l’anglais, le français et l’allemand. Les cours de mathématiques et de sciences la passionnent totalement. Elle recouvre les murs de sa chambre des feuilles de cours de son père prises quand il était l’élève de Mikhail Ostrogradski.
Très talentueuse, Sophie Kovalevskaïa impressionne ses formateurs, comme Iosif Malevich ou encore Nikolaï Tyrtov, un physicien qui la surnomme « le nouveau Pascal ». Les précepteurs se succèdent et semblent tous dépassés par la précocité de la jeune surdouée. On lui trouve un nouvel enseignant, Strannoliubski, qui lui donne des leçons particulières lors de l’hiver 1967. Ce Strannoliubski est un militant de l’enseignement supérieur féminin.
Les études en Allemagne
Sophie Kovalevskaïa ne termine pas ses études en Russie car les femmes n’ont pas le droit d’étudier dans les universités. Elle décide en 1868 de contracter un mariage blanc avec Vladimir Kovalevski, un étudiant en paléontologie, un nihiliste et darwiniste radical. Ensemble, ils quittent la Russie pour l’Allemagne et poursuivent leurs études.
A Heidelberg, la jeune russe se bat pour suivre des cours de physique et de mathématiques à l’université. Les enseignants, comme Hermann von Herlmholtz, Robert Bunsen et Gustav Kirchhoff, finissent par accepter. Son mari Vladimir, lui, étudie à l’université de Jena. Les deux « amants » se retrouvent pour partir à Londres, où Vadimir discute avec Thomas Huxley et Charles Darwin.
Salons et cours particuliers
La journaliste et romancière George Eliot, de son vrai nom Mary Ann Evans, invite Sophie Kovalevskaïa à ses salons du dimanche. Elle y rencontre le scientifique Herbert Spencer et fait part de ses connaissances acquises à Heidelberg. En 1870, Sophie s’installe à Berlin et prend des cours particuliers avec le mathématicien Karl Weierstrass.
Pourquoi prend-elle encore des cours particuliers ? Tout simplement parce qu’il est impensable pour l’université de Berlin de laisser une femme étudier ces disciplines. Karl Weierstrass, lui, perçoit très rapidement les compétences élevées de son élève. Sophie Kovalevskaïa travaille sur les équations aux dérivées partielles, enrichissant le travail du baron Cauchy : on parle aujourd’hui du théorème de Cauchy-Kowalevski.
Les sœurs Anna et Sophie dans la Commune
Avec Vladimir, elle se rend à Paris, ville secouée par la Commune à laquelle sa sœur Anna et son mari Victor Jaclard participent activement. Sophie prend soin des blessés communards. A la fin de cet épisode révolutionnaire, Anna et le blanquiste Victor sont arrêtés.
Anna s’enfuit, mais Victor est condamné à mort. Grâce à leur père, Vassili Korvine-Kroukovski, les deux filles obtiennent la grâce de Victor Jaclard qui avait écrit une lettre au président Adolphe Thiers.
Le difficile retour en Russie
Sur les pas de Maria Agnesi, elle est la deuxième femme à obtenir le titre de docteur, à l’université de Göttingen, pour des travaux sur la taille des anneaux de Saturne et un mémoire sur les intégrales abéliennes. Elle obtient même la mention « très bien » avec l’appui de Karl Weierstrass.
Après leurs succès européens, Sophie et Vladimir retournent en Russie. Cependant, ils connaissent vite des soucis financiers car Sophie ne peut pas exercer son métier de mathématicienne. Vladimir ne trouve pas de poste de professeur à cause de ses positions très radicales. Ils vivent soudés et ont une fille, Sophie (surnommée Fufa).
Docteure à l’université de Stockholm
Malgré cette amorce de vie familiale, Sophie Kovalevskaïa décide de partir vivre à Paris et quitte Vladimir. Celui-ci, poursuivi pour escroquerie et de plus en plus nerveux, finit par se suicider au formol.
Sophie Kovalevskaïa ne tombe pas dans la dépression et renoue avec une ancienne élève de Weierstrass, la Suédoise Gösta Mittag-Leffler. Celle-ci utilise toute son influence pour faire nommer Sophie privat-docent de l’université de Stockholm. La sœur de Gösta, l’actrice et romancière Anne-Charlotte Edgren-Leffler, devient une grande amie de Sophie jusqu’à la fin de sa vie.
Une scientifique féministe
La désormais professeure de l’université de Stockholm devient également rédactrice en chef de la revue Acta Mathematica. L’Académie française la récompense du titre Bordin pour l’un de ses mémoires sur ce que l’on appelle aujourd’hui le « sommet de Kovalevkaïa ». Ce système découvert par la scientifique russe est le seul autre cas de mouvement d’un corps rigide que ceux d’Euler et Lagrange.
Première femme professeure d’université sur le continent, elle se bat pour changer les règles de l’Académie dans son pays, jusqu’à être nommée membre de l’Académie des sciences de Russie. Elle s’est longtemps engagée en faveur du féminisme et a répandu les idées nihilistes. Amoureuse de Maxime Kovalevski, un parent de son défunt mari, elle décide de ne pas l’épouser.
Une nihiliste, le roman d’une vie
Parmi ses principales œuvres non scientifiques, on compte son autobiographie Une enfance russe, quelques pièces de théâtre écrites en collaboration avec Anne-Charlotte Edgren-Leffler, mais surtout le grand roman Une nihiliste, publié en 1890. E
Sophie Kovalevskaïa décède en 1891 en Suède, d’une grippe contractée après des vacances sur la Côte d’Azur, passées en compagnie de Maxime Kovalevski. Plusieurs hommages lui ont été rendus, comme le cratère lunaire Kovalevskaïa, le fonds Kovalevkaïa pour aider les femmes scientifiques dans les pays en développement, ou un prix à son nom en Allemagne pour récompenser les jeunes chercheurs. Plusieurs rues en Russie et en Suède portent aussi son nom.