Le fils d’Alexandre Scriabine, Julian Scriabine, est un pianiste et compositeur russe. Sa mort précoce, à 11 ans, a ému le monde de la musique.
Famille et naissance de Julian Scriabine
Julian Scriabine est né le 12 février 1908 à Lausanne, en Suisse. Son père est le très célèbre compositeur Alexandre Scriabine. Julian a six frères et sœurs : Rimma, Elena, Maria, Léon, Ariadna et Marina. Sa mère est la seconde épouse de son père, Tatyana Fedorovna Schlozer. Celle-ci est la sœur du critique musical Boris de Schlozer.
Rimma et Léon sont morts très tôt, à sept ans. Alexandre Scriabine avait une mauvaise relation avec son ancienne femme, si bien qu’ils ne se sont même pas rencontrés sur la tombe de Léon. Julian Scriabine, à sa naissance, fait la joie absolue de son père, qui écrit notamment à son amie Margarita Kirillovna Morozova.
Le jeune Julian Scriabine est de composition très fragile. Il a du mal à rester en bonne santé. Pour le moment, il est connu par les autorités sous le nom de Schlozer, le nom de sa mère. En effet, aux yeux de l’Eglise orthodoxe et de l’Etat russe, Julian Scriabine était alors un enfant illégitime car sa belle-mère, Vera, a toujours refusé le divorce.
En 1908, le père de Julian reçoit le soutien d’un mécène généreux, le compositeur Sergey Kusevitsky. La couple Scriabine retrouve la Russie après des années d’exil et loge dans le manoir de Kusevitsky. Mais Julian Scriabine, lui, part vivre avec une lointaine tante, Alina Boti, à Amsterdam. La première fois que l’enfant met les pieds en Russie, c’est le 3 février 1910 !
Julian Scriabine grandit dans un milieu artistique
Plusieurs foyers pour la petite famille
La famille séjourne plusieurs mois à l’hôtel Knyazhiy Dvor, dans le quartier moscovite de Volkhonka. En septembre 1910, les Scriabine posent leurs valises chez Georgy Oltarzhevsky, un architecte de renom. Marina, petite sœur de Julian, nait dans cet appartement de six pièces. Il faut savoir que l’endroit est très étroit pour loger la famille élargie, avec gouvernantes et domestiques.
La petite troupe fait donc un dernier déménagement, chez le philologue Apollon Grushka. Julian Scriabine n’a que très peu de rapports avec ses parents. Il est confié à ses tuteurs et aux gouvernantes. Il n’en demeure pas moins le petit « favori » des deux parents. Alexandre Scriabine le surnomme souvent Yulochka ou mouton (dans le sens de fourrure).
Poètes et musiciens fréquentent la maison des Scriabine
Julian Scriabine grandit dans un environnement artistique. Il lui arrive de voir passer les poètes Viatcheslav Ivanov et Constantin Balmont. De nombreux musiciens et chefs d’orchestre rendent visite à son père ; en revanche, peu de compositeurs.
Julian Scriabine étudie assez tôt le piano avec sa mère. Tatyana Schlozer était elle-même pianiste amateur, son oncle était professeur au Conservatoire de Moscou. Elle a abandonné totalement le piano quand elle a rencontré Alexandre Scriabine. Julian passe donc deux à trois heures par jour à jouer du piano pour son propre plaisir, sans public.
Un pianiste précoce qui suscite l’admiration
Julian Scriabine élevé par sa mère et le collège Gnessine
En 1914, Julian entre au collège musical Gnessine et y reste deux ans. Il est l’élève de Maria Gnessina. Dès la première année, il reçoit cinq récompenses pour ses capacités. L’année suivante, il fait encore mieux. Elena Gnessina, pianiste, reconnait avant même ces bons résultats que Julian Scriabine a un grand talent.
Le petit Julian Scriabine développe une grande proximité avec sa mère. Il travaille avec elle le piano et se montre vif d’esprit. Sa mère, selon Léonid Sabaneev, a une tendresse particulière pour lui. Julian a une tache de naissance sur la joue et son visage ne semble jamais changer. Selon les sources, même s’il ressemble autant à sa mère qu’à son père, il penche de plus en plus vers les traits d’Alexandre Scriabine.
Julian et Alexandre Scriabine : la relation père-fils
Ce dernier passe plus de temps avec son fils Julian en 1913, à Kalouga. Yurgis Baltrushaitis, poète russe, est le voisin du domaine familial. Alexandre Scriabine, de bonne humeur, emmène Julian pour de longues promenades et l’aide dans son étude musicale. Le 24 octobre 1913, le compositeur Anatoli Alexandrov (à l’époque simple étudiant au Conservatoire de Moscou) rend visite à la famille. Il est marqué par l’originalité de Julian Scriabine.
La mort d’Alexandre Scriabine et le déménagement en Ukraine
Période de deuil et de difficultés financières
Julian Scriabine perd son père en avril 1915 et la famille se retrouve en grande difficulté. Les dernières économies sont parties dans les visites médicales qui ont précédées le décès. Les meubles et les objets de valeur sont vendus dans la précipitation. Plusieurs amis de la famille comme Alexandre Brianchaninov et Sergueï Poliakov prêtent beaucoup d’argent pour les aider.
Au moment de mourir, Alexandre Scriabine a rédigé un testament où il demande l’adoption des enfants. Son ancienne femme Vera revient sur ses positions et admet les droits parentaux d’Alexandre et Tatyana sur les trois enfants : Julian, Ariadna et Marina. C’est ainsi qu’est baptisé pour la première fois Julian Scriabine, qui n’est plus Julian Schlozer.
Emménagement des Scriabine à Irpin
Tatyana a désormais l’idée de faire de Julian Scriabine le continuateur de l’œuvre de son père. Le petit poursuit ses études au collège Gnessine avec sa sœur Ariadna. La famine moscovite de 1918 pousse cependant les Scriabine à partir en Ukraine pour s’y établir. Comme Kiev était connue pour sa dangerosité et la vacance d’un pouvoir fort, Tatyana installe ses enfants à Irpin, dans une banlieue de la capitale ukrainienne.
En Ukraine, Julian Scriabine poursuit sa formation musicale. Il entre au Conservatoire de Kiev en septembre 1918, où il est l’un des plus jeunes élèves de Reinhold Glière. Ses camarades de classe s’appellent Boris Liatochinski et Vernon Duke, qui deviendront de grands compositeurs. Le musicologue Arnold Alschwang suit également les cours et s’émerveille du talent de Julian Scriabine.
Julian Scriabine au Conservatoire de Kiev
Un élève brillant mais colérique
Cet Arnold Alschwang organise au Conservatoire des cours d’histoire de la musique, qui sont très peu suivis. Mais Tatyana et Julian Scriabine sont enthousiastes et acceptent. Alschwang se souviendra plus tard du « petit manteau de fourrure blanche » avec lequel était habillé Julian (d’où son surnom de mouton).
Julian Scriabine dénote par son tempérament, similaire à celui de son père. Il se montre facilement irritable, colérique et têtu. Cela ne nuit pas à son intégration car ses compétences sont prononcées et il discute régulièrement avec les plus âgés du Conservatoire.
La jalousie des autres camarades
Julian Scriabine réussit avec brio sont examen de piano. Les membres du jury l’admirent : Reinhold Glière, Boleslav Yavorsky et Yakov Stepovoi. Ils semblent voir à travers ce jeune garçon la réincarnation du génie d’Alexandre Scriabine.
Vernon Duke avouait même plus tard la jalousie que le jeune homme suscitait : « J’étais un peu envieux de Julian, car il est devenu le prodige, prenant une position dominante. Sa musique était plutôt abstruse, mais après tout, c’était Scriabine, l’héritier de notre chef musical ».
La mort de Julian Scriabine
Pique-nique tragique dans le Dniepr
Julian Scriabine reçoit son diplôme avec mention en juin 1919. Mais c’est la dernière chose que l’on sait sur lui, puisqu’il meurt à la fin du mois. Le corps de Julian Scriabine est retrouvé noyé dans le Dniepr. Alors que Tatyana est absente pour régler des affaires à Moscou, Julian devait suivre ses camarades de classe dans un pique-nique. L’événement, organisé par l’école, a lieu sur l’un des îlots du Dniepr.
Le petit Julian, apparemment gêné d’être en maillot de bain devant ses camarades, s’est éloigné. Cependant, plus personne ne parvient à le retrouver. Les recherches se poursuivent tard dans la nuit, jusqu’à ce que le corps soit retrouvé avec l’aide de deux marins expérimentés. Nicolas Slonimsky, qui partageait l’appartement de la famille Scriabine, a ensuite donné sa version des faits dans ses mémoires.
Accident ou meurtre ? Les doutes sur la mort de Julian Scriabine
Aucune enquête ni aucune autopsie n’est faite. Comme le télégraphe ne fonctionnait pas, Tatyana n’a pas pu être avertie du terrible malheur. Reinhold Glière offrit la pierre tombale. Il a toujours défendu la mémoire de Julian Scriabine et a évoqué ses doutes quant aux possibles circonstances de la mort.
Boris Liatochinski, lui, était très sceptique sur la thèse accidentelle. « Après tout, il était complètement sans défense et certains étudiants du conservatoire ne lui ont pas caché leur sentiment d’envie ». De nombreuses théories ont fleuri ensuite, d’Elena Gnessina à Margarita Morozova, qui prennent la version officielle de la noyade pour la bonne. En cherchant des algues, Julian Scriabine aurait fait pencher un bateau sur lequel il se trouvait.
Tatyana Schlozer est totalement désespérée à l’annonce de la mort de son fils unique. Elle retourne à Moscou. Ariadna est confiée à l’institut Smolny. Tatyana, elle, sombre dans une forme de mysticisme très profond, cumulant onze maladies. Après une chute, elle décède d’une inflammation du cerveau en avril 1922. Les parents de Tatyana s’occupent de la petite Ariadna, tandis que Marina est confiée à des amis belges de sa mère.
Œuvres de Julian Scriabine
- Prélude en ut majeur (opus 2)
- Prélude en si majeur (opus 3, numéro 1)
- Prélude (opus 3, numéro 2)
- Prélude en ré bémol majeur (sans opus)