Alexander Kuznetsov s’immerge dans la Fontainebleau de Sibérie


CF, Oeuvres / samedi, octobre 21st, 2017

photo_Territoire-de-la-liberte_167788Stolby. Une réserve naturelle de Sibérie située aux marges de la grande Krasnoïarsk. Le week-end, ou sur un jour de repos, un groupe de lurons aime s’y aventurer comme sur un territoire de liberté. Il n’y a nul cadre imposé à leur communauté : on vit par la musique, l’escalade et les défis insensés entre amis.

Le documentaire d’Alexander Kuznetsov est une pépite qui vaut le détour. Il condense les aspirations des Russes en les montrant en action, sans interférer. Ses sujets sont parfaits, puisque la présence de la caméra ne semble en rien modifier leur comportement ; on voit dans sa splendeur la spontanéité slave.

Vu de France, ce film pourrait être interprété comme une dénonciation du pouvoir, un appel à prendre le large. Pas du tout. Kouznetsov s’inscrit dans la lignée des réalisateurs russes en s’attaquant au dualisme ville/nature, modernité/temps bénis ; avec, comme souvent, un léger parti pris pour la nostalgie. Les alpinistes amateurs qu’il suit dans la taïga se sentent vivre, rire, mais leur âme est gravement touchée par le souvenir d’une joie éteinte. “J’ai eu une vie pénible, mais quoi qu’il en soit, je sais que derrière chaque nuage se cache une lueur d’espoir”, chante un accordéoniste, dont les morceaux sont aussi déchirants les uns que les autres.

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Territoire de la liberté, c’est aussi l’extravagance de l’âme russe dans un endroit sans entrave. Les bains russes, les batailles de coussins à califourchon sur un tronc d’arbre, l’alcool, le funambulisme… On a le droit à l’exposé des folies russes dans la “Fontainebleau de Sibérie”, là où les premiers léninistes se réfugiaient pour fuir le tsar. C’est la liberté : prendre des risques inconsidérés pour s’amuser. C’est ainsi que cette bande d’amis conçoit la vie.

C’est aussi une opposition entre une communauté ordonnée (les communistes, les partisans de Russie Unie, les orthodoxes) et une communauté déliée, fondée sur une entraide spontanée. Cédric Gras, spécialiste de la Russie, mettait en garde le public du Grand bivouac : “Il ne faut pas généraliser. Ces gens viennent profiter de Stolby une journée ou deux et rentrent. Ils ne contestent pas le pouvoir, mais ont besoin d’une parenthèse de liberté”.

Paul Leboulanger

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