Poljot, une marque de montres née dans l’URSS des années 1930


Histoire / vendredi, octobre 31st, 2025

Le récit de la marque Poljot débute dans l’URSS des années 1930, lorsque l’État engagea la mise en place automatisée d’une industrie horlogère nationale. Un objet emblématique de cette ambition : en 1929, via la société d’import-export Amtorg, les autorités soviétiques achetèrent les usines américaines Ansonia Clock Company (Brooklyn) et Dueber‑Hampden Watch Company (Canton, Ohio), et firent venir une vingtaine de techniciens pour former les ouvriers soviétiques.

L’essor d’une montre alliée à la conquête spatiale

C’est ainsi qu’en 1930 fut fondée la «Première Usine d’Horlogerie d’État» à Moscou (Первый Государственный Часовой Завод). À partir de là, la manufacture évolua, produisant d’abord sous plusieurs noms, et ce n’est qu’en 1964 que le nom «Poljot» — qui signifie «vol» en russe — fut officiellement adopté pour devenir la marque-étendard des montres soviétiques.

Cette appellation n’était pas un hasard : elle célébrait notamment le premier homme dans l’espace, Yuri Gagarin, qui, lors de son vol historique le 12 avril 1961, portait une montre issue de cette manufacture, le modèle «Sturmanskie». Cette aventure conféra à la marque un aura technologique mais aussi héroïque, liée aux exploits spatiaux de l’URSS.

Une histoire de personnalités

La montre Poljot s’inscrit dans une constellation de figures et d’événements mythiques. Outre Yuri Gagarin, on retient notamment le cosmonaute Alexei Leonov, qui porta un chronographe «Strela» de la même manufacture lors de sa sortie extravéhiculaire en 1965. Le mouvement chronographe légendaire de la maison, le calibre 3133, dérivé du suisse Valjoux 7734, symbolise l’ambition horlogère soviétique d’être à la hauteur des grandes maisons occidentales.

Sur le plan symbolique, Poljot s’est positionnée comme l’instrument d’une puissance étatique : montre de pilote, de cosmonautes, puis de l’armée de l’air ou de la marine soviétique. Elle véhiculait des valeurs de robustesse, de fiabilité et d’ingénierie «rugged». Au fil du temps, cette histoire a ravivé un intérêt de collection, tant la marque reste une pièce de patrimoine horloger associée à l’«ère spatiale».

L’évolution de la marque jusqu’à nos jours

Durant les décennies 1960-70 et jusqu’aux années 1980, Poljot produisit une large gamme – montres habillées, montres «militaires», chronographes. Mais avec la chute de l’URSS, la marque connaît des difficultés. En 1992, elle est nommée fournisseur officiel du président russe. Cependant, la transition vers l’économie de marché n’a pas été facile. Pour s’adapter, la société vendit des équipements, céda des lignes, et en 2004 la manufacture d’origine déclara faillite.

Dans les années suivantes, la marque se scinda et fut en partie relancée – l’exportation et la distribution furent assurées par la société allemande Poljot‑International (créée en 1995) qui «modernisa» le style tout en revendiquant l’héritage soviétique. Aujourd’hui, bien que la manufacture d’origine soit disparue telle quelle, les montres Poljot d’époque sont très prisées des collectionneurs, et la marque reste un symbole de l’horlogerie russe vintage, oscillant entre authenticité historique et marché de niche.

Style et mode à travers les époques

Dans les années 1960-70, Poljot adoptait un style fonctionnel, légèrement militaire : boîtiers en acier, cadrans clairs ou sombres, index lumineux, aiguilles épaisses, lunette sobre (voire absence de lunette). Le chronographe «Strela» par exemple a une patine typique des années de l’espace. Au fil du temps, et surtout après l’ouverture vers l’exportation, la marque introduisit des modèles plus «habillés», notamment sous la ligne «Poljot de Luxe».

Plus récemment, la mode des montres vintage a redonné un second souffle à Poljot. Les amateurs d’horlogerie apprécient l’héritage mécanique (mouvements manuels, chronos) et le charme d’une montre non «mainstream». Le style évoque une époque révolue : la course à l’espace, l’ingénierie soviétique, l’esthétique brute. Sur le marché actuel, porter une Poljot c’est afficher un goût pour l’histoire autant que pour la mécanique.

En somme, Poljot est bien plus qu’une simple marque de montres : c’est un témoin d’une époque, un symbole horloger lié à l’aviation, à l’espace et aux ambitions techniques d’un État. Aujourd’hui, sa survie se fait moins industrielle que culturelle ; ses montres sont collectionnées, appréciées pour leur authenticité et leur récit.