La Russie sous les projecteurs au Salon du livre


Exposition, Reportage / dimanche, mars 18th, 2018

Le Salon du livre, qui a ouvert le vendredi 16 mars à Paris, a mis à l’honneur la littérature russe. Mis à part un petit rayon “classiques”, c’est surtout des auteurs actuels qu’il était question. De nombreuses conférences, un stand merveilleusement garni… Cela faisait longtemps que le Salon du livre n’avait pas autant impressionné.

Lev Danilkine et Pavel Bassinski
Lev Danilkine, auteur d’une biographie de Lénine, et Pavel Bassinski, qui a travaillé sur Tolstoï, lors de la conférence sur les biographies, samedi 17 mars 2018. Crédit OM/Paul LEBOULANGER

Samedi matin, tous les sièges de la “grande salle” de conférence étaient occupés par un public composé autant de Français que de Russes. Le thème de la matinée était “La biographie comme lieu d’expression artistique”. Le plateau était animé par l’écrivain Vladislav Otrochenko, qui recevait Pavel Bassinski, Lev Danilkine et Sergueï Chargounov. Tous trois ont fait le portrait d’un grand personnage russe, respectivement Léon Tolstoï, Lénine et Kataïev.

Serguei Chargounov
Sergueï Chargounov défend la mémoire de l’écrivain Valentin Kataïev. OM/Paul L.

Le premier s’attache à montrer comment Tolstoï a passé les dernières heures de sa vie, à la gare d’Ostapovo, entre mysticisme et tourments spirituels. Le second se veut l’écrivain “neutre” de la vie de Lénine, personnage relégué dans les esprits russes par Staline. Enfin, Chargounov veut redorer le blason de Kataïev, trop peu mis en valeur contrairement à Nabokov, “car c’était un auteur trop indépendant et libre, qui attirait la jalousie“.

Le public était réceptif. Par exemple, lors de la conférence sur “1917, point de bifurcation de la langue russe”, les spectateurs fronçaient les sourcils et riaient selon les bons mots du professeur Mikhaïl Osdachy, qui travaille à l’institut de langue russe Pouchkine. Il expliquait la complexité des “adresses”, la façon dont on appelle quelqu’un. Selon si l’on est à la campagne, en ville, si l’on connaît la personne ou que l’on veut être affectueux… Tout un casse-tête pour les traducteurs.

Mikhail Osadchy
Mikhaïl Osdachy (deuxième à gauche), professeur de russe, animait une conférence sur les évolutions de la langue à partir de la Révolution. OM/P.L

Le public russe tout autant visé que le public français

Les allées du stand “Russie” étaient bondés. On pouvait y

Vladislav Otrochenko
L’écrivain Vladislav Otrochenko était le modérateur de la conférence sur les biographies. OM/P.L

croiser Natalia Turine et son équipe de la librairie du Globe, boutique officielle du salon. Des hôtesses russophones orientaient les visiteurs vers les animations, vêtues en bleu et rouge, couleurs phares du stand. A peu près 70% des livres vendus étaient en langue russe, ce qui ne laissait que peu de choix aux lecteurs français. Kourkov, Tsvetaieva, Guelassimov et les frères Strougatski… La littérature du XIXe au XXIe siècles était représentée.

Et même, isolée dans un coin, une table était recouverte des coffrets collectors du cinéma russe : Nikita Mikhalkov, Andreï Tarkovski et Andreï Zviaguintsev. On prend un DVD, on regarde le résumé et le prix. Cela a l’air ancien, c’est méconnu et cher. Si seulement les visiteurs savaient qu’ils ont entre leurs mains des chefs-d’œuvre du cinéma!

Alexandre Sneguirev, Dmitri Danilov et Vassili Golovanov
Vassili Golovanov, Alexandre Sneguirev et Dmitri Danilov lors de la conférence “Urbanisme et littérature. D’abord nous construisons des maisons, puis les maisons nous construisent”. OM/P.L

Cependant, il ne faut pas croire que le public russe est la principale cible des organisateurs. Des traducteurs bilingues animent chaque conférence. Les sujets sont universels. Par exemple, des conférenciers s’appliquent à comprendre les liens entre urbanisme et littérature. Un sujet peu évident mais qui rassemble quelques Français, calepin et stylo à la main.

Une géopolitique du placement

Tout autour du stand russe se greffent des petits stands satellites. La maison d’édition Louison, dirigée par Natalia Turine, fait découvrir ses propres auteurs à l’entrée du stand. Pourtant, au sein même du stand russe, on peut aussi trouver des livres de Louison. En face, l’institut des études slaves propose magazines et traductions d’écrivains russes et polonais, en majorité. “C’est sûr qu’on est pas ici par hasard… On est mieux qu’au milieu des jeux vidéo“, ironise l’un des animateurs du stand. La Roumanie, la Hongrie, la Pologne et la Grèce encadrent la Russie.

Mais aussi, l’Ukraine. Le stand est étroit mais actif. La délégation ukrainienne veut montrer qu’elle existe et affiche de nombreux événements sur ses pancartes. Samedi, un atelier pour les enfants y était proposé. Sur les étalages, on vend des œuvres de Kourkov… Comme sur les stands russes. Parce que Kourkov est au cœur d’une bataille: appartient-il à la culture russe ou ukrainienne ? L’auteur du Pingouin et de Laitier de nuit n’est en tout cas pas invité du Salon.

Bruno Niver
Le poète Bruno Niver déclame les vers de Maïakovski. Photo OM/Paul L.

L’essentiel est d’attirer le regard, de montrer que la Russie intéresse encore. Comme lorsque le poète Bruno Niver, traducteur de Maïakovski, déclame d’une voix de baryton les vers de l’artiste russe, faisant résonner les tympans du public. Les badauds des allées alentour s’approchent comme des insectes attirés par la lumière pour voir de quoi il s’agit: est-ce une bagarre, un spectacle… ou un fou? C’est la littérature russe qui fascine Paris.