Fondation Custodia : les exquises esquisses du musée Pouchkine


Culture, En passant, Exposition, Reportage / samedi, mars 16th, 2019
Après le Japon et les États-Unis, c’est au tour de la Russie de déposer, au n°121 de la rue de Lille, sa malle d’estampes fraîchement rapportées de son célèbre musée moscovite. Au premier étage et au sous-sol de l’hôtel Lévis-Mirepoix, où nichent aujourd’hui les expositions de la Fondation Custodia, on peut voir défiler depuis le 2 février pas moins de 500 ans d’histoire de l’art, à travers 200 œuvres graphiques prêtées pour l’occasion par le musée Pouchkine. Dessins, gravures et peintures d’artistes fameux ou méconnus, ces précieuses pièces nous emmènent en toute intimité et avec modestie au plus près du travail de l’artiste.

Première rétrospective en France

Les 200 œuvres exposées comptent parmi les 27 000 dessins et les 350 000 gravures de la collection du musée Pouchkine, autrefois musée d’État des Beaux-Arts de Moscou, réunis depuis plus d’un siècle au sein de son Cabinet d’Arts graphiques. « Un petit échantillon », direz-vous avec détachement. Mais pas n’importe quel échantillon. Tout d’abord parce que c’est la première fois qu’un ensemble si large est présenté à un public occidental, couvrant une période allant du XVIe au XXe siècle.

Différentes techniques graphiques, mais aussi différents sujets d’étude se dessinent sous nos yeux au fur et à mesure que nos regards nous guident dans l’exposition, reflets de la préférence de l’artiste comme de l’esthétique et des préoccupations d’une époque. En cela, ils constituent un intérêt historique certain. Ensuite, parce que jamais une exposition de dessins n’a été aussi représentative de la collection du musée Pouchkine.

On y trouve de grands noms des écoles russes et européennes : de Véronèse à Picasso en passant par Rubens, Rembrandt, Poussin, Watteau, Ingres, ou encore Renoir, Daumier, Matisse et Van Gogh. Et côté russe : Kandinsky, Kontchalovsky, Kouprine, Chagall…

Dans l’intimité des grands peintres

Le MusŽe Pouchkine
Crédit : Anne-Frédérique Fer

200 œuvres, ce n’est pas rien ! Il faut bien une heure pour parcourir les deux étages de l’exposition et prendre le temps de combler nos yeux des petits détails de chaque feuillet, chaque gravure ou tableau. Encore plus si l’on s’intéresse au contexte de leur production, expliqué pour chacun d’entre eux dans le joli livret en papier bible distribué à l’entrée du musée.

Amateur de dessin, on prendra plaisir à observer de près les différentes techniques utilisées par les artistes : aquarelle, lavis, plume et encre, craie blanche, sanguine, rehauts de blancs partiellement sulfurés, pierre noire… Chaque outil a ses effets, que l’on apprend à identifier de dessin en gravure et de gravure en tableau. Et l’on pourra jouer à deviner ceux utilisés pour tel feuillet, avant de glisser un regard interrogateur sur son cartel explicatif.

Art de la minutie, pratique de l’ébauche, le dessin nous emmène au plus près du travail de l’artiste. C’est ainsi dans un rapport d’intimité que l’on découvre ou redécouvre de grands noms de diverses époques, entrant au contact de leurs efforts, de leurs hésitations. Un peu comme si l’on se glissait dans leur atelier sans qu’ils nous en aient donné l’autorisation, pour surprendre un projet de toile ou quelque dessin secrètement gardé (qui exposerait un simple dessin !?).

La beauté des esquisses russes

La magie de leur talent n’en est pas pour autant détrompée : on admire la facilité avec laquelle, en quelques coups de fusain, de sanguine ou de craie, ils incarnent une intention et font vivre une promesse. À mesure qu’on progresse dans l’exposition jusqu’au sous-sol de l’hôtel particulier, on est surpris de découvrir toute une série de pastels, d’aquarelles, de tableaux peints à l’huile ou à la gouache.

Cette cohabitation nous questionne sur la définition des arts graphiques et du dessin. À quel moment peut-on dire que l’on passe du dessin au tableau, de l’esquisse à l’œuvre d’art ? Le dessin est-il une œuvre au même titre que le tableau à la réalisation duquel il a servi ? La gravure est-elle un art, ou se rapproche-t-elle davantage de l’artisanat ? Des questions que l’on oublie bien vite pour profiter pleinement et simplement de la beauté de ces « exquises esquisses », offertes à nos yeux pour encore deux mois.

Un voyage en Russie avec Frits Lugt

Aujourd’hui, la Fondation Custodia abrite près de 4 000 dessins et 15 000 estampes du XVIe et au XVIIIe siècle, résultat de toute une vie d’accumulation. Toute une vie, car c’est avec du lait au bout du nez que son créateur, Frits Lugt, commence à s’intéresser aux arts graphiques et à l’histoire de l’art. Pendant que les adolescents de son âge se livrent aux occupations de leur âge, lui rédige du haut de ses seize ans une biographie de Rembrandt.

Il se fait rapidement repérer dans le milieu de l’art et débute en sa carrière en 1901 dans la société de vente aux enchères de Frederik Muller, ce qui lui ouvre l’accès à un vaste réseau de marchands et de collectionneurs. Son mariage avec une riche héritière en 1910 lui permet de se lancer dans cette activité à son compte. C’est à partir de ce moment qu’il commence à développer sérieusement sa propre collection, constituée jusqu’alors essentiellement de dessins et d’estampes, moins chers que des peintures.

Il ne cessera ensuite de développer son fonds jusqu’à sa mort. Fidèle à son amour de jeunesse, Frits Lugt a surtout acquis des œuvres flamandes et hollandaises, et l’on peut aussi trouver, bien conservés dans l’hôtel Turgot où loge la Fondation Custodia, des lettres et des manuscrits, des livres anciens et des portraits miniatures.

La rétrospective des œuvres graphiques du musée Pouchkine peut être considérée comme l’aboutissement de son parcours. Ce collectionneur, historien d’art autodidacte et fondateur de l’Institut néerlandais en France avait voyagé en Russie en 1964, six ans avant sa mort, et visité le musée Pouchkine. Le Cabinet d’Arts graphiques du musée moscovite était pour lui la dernière collection de dessins qu’il lui restait à découvrir. Cette exposition est l’occasion de le suivre pour la première fois dans ce voyage passionné et de revivre, comme si l’on était à ses côtés, l’émerveillement de la découverte.

Victoria Leboulanger

En savoir + sur la collection des arts graphiques du musée Pouchkine

Le musée Pouchkine, autrefois Musée d’État des Beaux-Arts de Moscou, a été fondé en 1912 dans la capitale russe. Ivan Tsvetaïev, professeur d’histoire de l’art, avait alors l’idée de fonder un véritable musée des beaux-arts. Ne manquait plus que l’argent pour financer ce projet et l’architecte pour le concevoir. C’est en personne de Yuriy Nechaev-Maltsov, riche industriel philanthrope, qu’il trouve un soutien financier, et en celle de Roman Klein qu’il trouve son architecte.

Le fonds du musée est d’abord constitué de moulages de sculptures de l’Antiquité à la Renaissance. En 1924, date de la création de son département de Peintures et de Dessins, le musée bénéficie de l’ajout d’une centaine de collections issues de la refonte des musées nationaux et de la redistribution des œuvres, principalement en provenance du Musée historique russe, du musée de l’Ermitage et du musée Roumiantsev. Ce dernier, créé en 1862, était la première institution publique à valoriser les arts graphiques. Il rassemblait de nombreux dessins, acquis notamment grâce à des donations et à des nationalisations de collections privées par le décret de 1918.

Le musée d’États des Beaux-Arts reçoit également une partie des collections du musée national d’Art moderne occidental, constitué suite à la nationalisation des collections privées de Chtchoukine et Morozov à partir de 1948. Aujourd’hui, son fonds de dessins et gravures est constitué de 27 000 feuillets des écoles russes et européennes et près de 350 000 gravures, toutes écoles confondues.

V.L.

Photo Anne-Frédérique Fer

Infos pratiques :
Exposition Le Musée Pouchkine, Cinq cents ans de dessins de maîtres,
du 2 février au 12 mai 2019
Fondation Custodia
121, rue de Lille 75007 Paris
Accès via le métro (13)/RER C Invalides ou Assemblée nationale (12)